La transformation numérique s’impose comme le principal levier de modernisation du service public local. L’adoption massive de la donnée et de l’intelligence artificielle bouleverse les modes de gestion des collectivités, tandis que les attentes citoyennes en matière de transparence et de contrôle s’accentuent. Ce nouvel équilibre entre innovation opérationnelle, efficacité et confiance interroge la capacité des territoires à inventer un service public adapté aux défis de demain.
La tension sur les ressources, conjuguée à une exigence croissante d’efficacité et de qualité du service public, place les collectivités territoriales face à une équation redoutable. Depuis trois ans, l’émergence des outils numériques et des usages data offre des perspectives inédites, mais impose une transformation profonde des pratiques, des organisations et des modes de pilotage. Le baromètre 2025 de l’Observatoire Data Publica livre une photographie précise de cette transition, désormais amorcée sur l’ensemble du territoire.
L’année 2025 marque un véritable tournant dans la diffusion de la culture data au sein des collectivités. Désormais, 74 % des collectivités de plus de 3 500 habitants mobilisent la donnée pour piloter leurs politiques publiques, contre seulement 40 % en 2022. Cette dynamique s’étend rapidement aux communes de petite taille : près de la moitié (49 %) des communes de moins de 3 500 habitants ont engagé un projet data, alors qu’elles n’étaient que 6 % il y a trois ans. Cette extension touche toutes les strates territoriales, des régions et métropoles (100 %) aux départements (92 %) et aux EPCI (82 %).
Des organisations plus matures, un pilotage de haut niveau
Avec le temps, les usages se diversifient. La donnée irrigue la gestion interne (69 % des collectivités de plus de 3 500 habitants), les politiques environnementales (66 %), la mobilité (60 %), l’aménagement du territoire (57 %) et le développement économique (52 %). L’essor de ces projets traduit un pragmatisme nouveau, où la résolution de problèmes quotidiens (gestion des courriers, optimisation des bâtiments, traitement des archives, automatisation des tâches répétitives) prévaut sur les discours de modernisation abstraite. Cette réalité se reflète dans les priorités déclarées : 83 % des collectivités placent l’amélioration de la qualité du service public en tête de leurs objectifs data, devant le renforcement du pilotage (66 %) et la réalisation d’économies (16 %, en forte progression).
La structuration progressive des pratiques numériques ne se limite plus à l’expérimentation ou à la conduite de projets isolés. En 2025, la moitié des collectivités de plus de 3 500 habitants ont adopté ou prévoient d’adopter un cadre stratégique dédié à la gestion des données. Ce mouvement s’accompagne d’une implication croissante des directions générales, qui pilotent désormais la transformation dans 73 % des cas, contre seulement 53 % en 2022. Les métropoles et les régions se distinguent par leur avance : 60 % d’entre elles se déclarent « avancées ou très avancées » dans l’exploitation des données.
Cette structuration s’accompagne d’initiatives concrètes : chartes de la donnée, conventions de gouvernance, intégration des clauses « data » dans les marchés publics et mutualisation des savoir-faire. Les défis organisationnels restent cependant majeurs, en particulier pour les petites communes et les intercommunalités, qui peinent à recruter ou à former des profils spécialisés. Les collectivités identifient le manque de compétences internes (66 % de celles qui n’ont pas encore lancé de projet IA) et la disponibilité de formations (38 %) comme des freins persistants. Plus fondamentalement, l’accès à des données de qualité devient le principal obstacle au déploiement à l’échelle des projets numériques, cité par 50 % des collectivités engagées dans l’IA.
L’intelligence artificielle s’invite dans la gestion quotidienne
L’année 2025 confirme l’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle dans la sphère publique locale. Trois collectivités sur quatre (77 % des plus de 3 500 habitants) ont lancé ou prévoient de lancer un projet IA. La génération automatique de documents, le traitement des demandes des administrés, la personnalisation de l’accueil ou l’optimisation de la gestion interne figurent désormais parmi les cas d’usage les plus répandus. L’IA générative, perçue comme accessible et peu coûteuse, s’impose nettement : 84 % des collectivités qui expérimentent l’IA y ont recours (contre 52 % un an plus tôt), y compris dans les petites communes.
Cette dynamique ne masque pas les difficultés rencontrées sur le terrain : les collectivités pionnières découvrent l’importance de l’orchestration des systèmes, de la gouvernance de la donnée et du respect des règles éthiques. Les grands projets prédictifs (gestion de l’eau, de l’énergie) restent l’apanage des métropoles et des régions, tandis que l’automatisation des processus administratifs et la modernisation de la relation usagers progressent rapidement dans tous les territoires. Pour les agents, la réduction de la charge de travail répétitive et la limitation des déplacements inutiles constituent les premiers bénéfices tangibles. Pour les citoyens, la promesse d’une administration plus réactive, plus transparente et mieux maîtrisée prend forme dans le quotidien des démarches.
La confiance citoyenne, un enjeu de gouvernance
Les avancées numériques n’effacent pas la méfiance structurelle d’une partie des citoyens. Selon l’enquête Ipsos-BVA, seuls 36 % des Français estiment que l’usage croissant des données par le service public est « une bonne chose » (contre 47 % en 2024). La défiance s’exprime aussi dans le sentiment d’information : seulement 31 % se disent bien informés de l’utilisation de leurs données, un chiffre en recul de dix points depuis 2022. La confiance accordée aux acteurs publics locaux, en revanche, demeure forte : 64 % des Français font confiance à leur commune ou intercommunalité, un taux nettement supérieur à celui de l’État (45 %) ou des acteurs privés (banques, plateformes, réseaux sociaux).
L’irruption de l’IA suscite, quant à elle, davantage de réserves : 51 % des Français expriment des sentiments négatifs à l’égard de cette technologie, et 68 % affichent leur défiance, principalement par crainte d’une perte de contrôle humain (79 %) ou d’une dépendance technologique (85 %). L’opinion publique réclame une gouvernance rigoureuse : 94 % des citoyens jugent prioritaire l’élaboration de règles encadrant l’usage de l’IA par les agents publics, 93 % exigent un contrôle indépendant, et 86 % estiment que le contrôle doit primer sur la recherche d’efficacité opérationnelle.
Les territoires à l’épreuve de la confiance et de la performance
À quelques mois des municipales, la transformation numérique des collectivités territoriales s’impose comme un impératif autant qu’un défi. L’extension des usages data et IA contribue déjà à rendre l’action publique plus efficace et plus réactive, tout en générant des attentes accrues en matière de transparence, de maîtrise et de protection des données. Les marges de manœuvre financières et humaines restant contraintes, la capacité à industrialiser la gouvernance de la donnée, à mutualiser les compétences et à outiller les agents conditionne désormais la réussite des politiques locales.
À moyen terme, les collectivités les plus avancées disposeront d’un avantage stratégique. Une meilleure visibilité sur les politiques publiques, une gestion optimisée des flux, l’anticipation des besoins des citoyens, et le pilotage plus fin des ressources en font partie. Pour les décideurs locaux, le pari consiste à convertir ces avancées techniques en gains mesurables, économies budgétaires, satisfaction accrue des usagers, réduction des délais de traitement, tout en préservant la confiance et le consentement des citoyens. Les prochains scrutins municipaux offriront un terrain d’observation privilégié pour mesurer l’impact de cette nouvelle donne dans la gouvernance territoriale française.
Méthodologie de l’enquête
L’édition 2025 du baromètre de l’Observatoire Data Publica combine deux volets complémentaires. Le premier repose sur une enquête terrain menée de mai à juillet 2025 auprès de 292 collectivités territoriales et d'établissements publics locaux, couvrant toutes les catégories de territoires : régions, départements, métropoles, EPCI et communes de différentes tailles. Le second volet s’appuie sur un sondage représentatif de la population française, conduit par Ipsos-BVA du 17 au 23 juillet 2025 auprès de 1 000 personnes majeures recrutées en ligne selon la méthode des quotas. Ce croisement de sources permet d’éclairer à la fois les dynamiques d’adoption des outils numériques dans les territoires et la perception citoyenne des enjeux liés à la donnée et à l’intelligence artificielle. L’ensemble du dispositif respecte les exigences méthodologiques de la norme ISO 20252 relative aux études d’opinion.























