L’AIE alerte sur le décalage entre les ambitions d’efficacité énergétique dans le bâtiment et la réalité des gains constatés. Si le numérique et l’intelligence artificielle ne s’imposent pas comme outils de pilotage en temps réel, la transition restera incomplète, estime l’organisation. Ce constat vaut aussi bien pour les constructions neuves que pour les bâtiments rénovés, confrontés à l’écart persistant entre théorie et pratique.
La transition énergétique du secteur du bâtiment s’accélère sous l’effet conjugué des politiques publiques, de la pression réglementaire et des engagements climatiques internationaux. Pourtant, le rapport « Energy Efficiency 2025 » de l’Agence Internationale de l’Énergie montre que, malgré l’adoption croissante de standards et d’objectifs ambitieux, la consommation réelle des bâtiments stagne, voire progresse dans certains contextes. En cause, une inadéquation persistante entre les technologies mises en œuvre et la capacité à piloter efficacement les usages énergétiques au quotidien. Cette réalité interroge la pertinence des modèles classiques de rénovation et de construction, qui misent d’abord sur la performance de l’enveloppe et des équipements, en négligeant le rôle central du numérique et de l’IA.
La généralisation des dispositifs numériques dans le secteur du bâtiment s’accompagne d’une promesse forte : rendre chaque immeuble, chaque espace tertiaire ou résidentiel, capable de s’adapter en temps réel à la demande énergétique, aux conditions climatiques et à l’occupation effective. Pourtant, selon les experts de l’AIE, la majorité des projets échouent encore à exploiter pleinement ce potentiel. Faute de systèmes de supervision et de gestion intelligente, les consommations résiduelles, les surchauffes ou les gaspillages restent massifs, même dans les programmes de rénovation les plus récents. Ce constat vaut également pour les nouveaux bâtiments, qui peinent à tenir leurs promesses initiales d’efficacité faute d’exploitation dynamique de la donnée et de scénarios d’usage intelligents.
Le numérique et l’IA, leviers incontournables ...
L’AIE identifie le pilotage numérique et l’intelligence artificielle comme leviers clés pour franchir un nouveau palier en matière d’efficacité énergétique des bâtiments. L’automatisation des systèmes CVC (chauffage, ventilation, climatisation), l’optimisation continue de l’éclairage et la gestion active de la flexibilité électrique reposent désormais sur l’exploitation des données issues de capteurs, de compteurs communicants et de plateformes logicielles interopérables. La dimension prédictive de l’IA permet d’anticiper les besoins réels en fonction des usages, des conditions météorologiques ou des variations de prix de l’énergie, générant des économies tangibles et une meilleure intégration aux réseaux électriques intelligents.
Cette approche data-driven s’oppose à la logique prescriptive des normes traditionnelles, qui se limite à fixer des objectifs statiques de performance. L’exploitation en temps réel de la donnée ouvre la voie à une adaptation dynamique et contextuelle, essentielle pour tenir compte de la variabilité des usages et de l’imprévu. Selon l’AIE, ce changement de paradigme concerne autant les immeubles collectifs que les bâtiments tertiaires ou industriels, où les marges de manœuvre restent importantes. L’enjeu porte sur la diffusion de solutions ouvertes, interopérables et capables d’orchestrer plusieurs sources de données et d’énergie, tout en garantissant sécurité et confidentialité.
… mais leur potentiel encore sous-exploité
Malgré l’essor du numérique, le rapport souligne que la majorité des bâtiments neufs ou rénovés n’intègrent qu’un minimum de dispositifs de pilotage automatisé, souvent limités à quelques fonctionnalités de base. Ce retard structurel s’explique par des freins culturels, réglementaires et économiques : méconnaissance des solutions existantes, segmentation des métiers du bâtiment, absence d’interopérabilité entre équipements ou plateformes, manque de formation des acteurs. L’absence d’indicateurs de performance énergétique réellement corrélés aux usages quotidiens pénalise également l’évaluation des résultats et la valorisation des investissements.
Pour les experts de l’AIE, une évolution rapide s’impose afin de passer d’une logique d’équipement à une logique de service, centrée sur la supervision intelligente, la maintenance prédictive et l’optimisation continue. Le numérique, associé à l’IA, doit devenir un standard du secteur, non plus une option ou un supplément d’âme. Ce changement suppose également d’intégrer dès la conception des immeubles les scénarios d’usage, les interactions entre occupants, exploitants et gestionnaires de réseaux. Le potentiel de flexibilité offerte par ces solutions apparaît crucial pour accompagner la généralisation des énergies renouvelables et la gestion des pics de consommation.
Des bénéfices à portée de main
L’impact d’une supervision intelligente s’exprime d’abord en termes d’économies d’énergie et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Selon les projections de l’AIE, la généralisation des systèmes de gestion intelligente permettrait de réduire de 15 à 20 % la consommation énergétique réelle des bâtiments, soit bien plus que la simple application des standards actuels. Les effets se traduisent aussi par une moindre exposition aux prix volatils de l’énergie, une diminution des coûts d’exploitation, une amélioration du confort et de la sécurité des usagers, et un allongement de la durée de vie des équipements.
La numérisation et l’IA créent de nouvelles opportunités économiques, en favorisant l’émergence d’acteurs spécialisés dans l’analyse de la donnée, la fourniture de services énergétiques ou l’exploitation de la flexibilité. Ces évolutions s’inscrivent dans le cadre des politiques nationales et européennes de transition énergétique, qui renforcent les exigences de performance, d’audit et de reporting. La capacité à démontrer l’impact réel des investissements devient un critère différenciant pour les propriétaires et gestionnaires, et un levier pour l’attractivité des actifs immobiliers sur le marché.
Vers une gouvernance intégrée et des métiers en mutation
La prévalence du numérique et de l’intelligence artificielle dans le bâtiment entraîne une recomposition profonde des métiers, des compétences et des modèles économiques. L’essor des opérateurs de services énergétiques, des plateformes d’orchestration ou des intégrateurs de solutions IA illustre la mutation en cours. Les gestionnaires immobiliers, les exploitants, mais aussi les usagers eux-mêmes deviennent acteurs de l’optimisation, dans une logique de boucle vertueuse fondée sur l’analyse en temps réel et la rétroaction.
Le rapport insiste sur la nécessité d’une gouvernance partagée, impliquant l’ensemble des parties prenantes, investisseurs, collectivités, entreprises de services, industriels, concepteurs de solutions numériques, occupants. Cette approche collaborative conditionne le succès de la transformation, en garantissant la cohérence des choix techniques, l’adéquation des modèles de financement et la diffusion rapide des bonnes pratiques. La massification de la rénovation, l’accélération de la construction neuve bas carbone et la généralisation de l’IA dans les opérations immobilières constituent autant de leviers pour répondre aux objectifs climatiques tout en soutenant la compétitivité du secteur.
En définitive, le rapport de l’AIE établit un diagnostic sans appel sur la réussite de la transition énergétique dans le bâtiment. Elle dépend désormais de l’intégration massive du numérique et de l’intelligence artificielle comme piliers du pilotage, du suivi et de l’optimisation en temps réel. Cette évolution conditionne l’atteinte des objectifs de sobriété, de résilience et de compétitivité. Les bénéfices attendus sont multiples, selon les auteurs du rapport :des économies concrètes, une réduction mesurable de l’empreinte carbone, une meilleure attractivité du parc immobilier, mais aussi l’émergence d’un écosystème d’acteurs et de compétences à forte valeur ajoutée. Le défi est de dépasser le stade des annonces pour ancrer la gestion intelligente comme une nouvelle norme du secteur.























