Entre les déclarations nationalistes du candidat Donald Trump, sa philosophie commerciale aux antipodes de la transversalité de l’économie et des technologies, ses orientations géostratégiques parfois surprenantes, les engagements pris contre lui durant la campagne par les milieux économiques et technologiques, et le retour du populisme et des sectarismes à l'américaine, l’élection de Donald Trump soulève une vague d’inquiétude dans le monde des IT.
« Le monde s’effondre devant nos yeux ! ». Cette déclaration dramatique a été proférée par l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, au moment où il découvrait les premiers résultats partiels des élections américaines. Un haut fonctionnaire, qui occupe une place diplomatique aussi stratégique, mais qui abandonne son devoir de réserve pour se fendre d’une telle déclaration, c’est la démonstration de la vague d’inquiétude que l’élection de Donald Trump au poste de président des Etats-Unis, la première puissance économique, militaire et sécuritaire mondiale, soulève à travers le monde.
Un militantisme IT dans le collimateur du candidat ?
Le monde des IT, le monde en général et l’écosystème américain, a globalement milité contre Donald Trump. Il faut dire que le candidat n’a pas ménagé ses efforts pour adopter des positions populistes, et donc très éloignées des standards de l’économique numérique. Là où Hillary Clinton s’inscrivait en héritière d’un Barack Obama digital, qui a participé à introduire le numérique dans tous les rouages de l’administration américaine, le futur président s’est montré très éloigné du 2.0, voire du 1.0 !
Toute la difficulté pour analyser le devenir des technos dans un univers Trump provient d’une part de ses déclarations populistes donc isolationnistes, là où les IT n’ont pas de frontière, et sur la personnalité d’un individu dont on peut craindre les réactions venant d’un homme qui prochainement va devenir le « maître du monde ». Et pourra éventuellement exercer sa rancœur contre ceux qui se sont opposés à lui.
A commencer par trois figures de proue des IT...
- Jeff Bezos, le patron d’Amazon, qui a pris position contre lui et mis au service de la candidate Clinton le Washington Post dont il est le propriétaire.
- Tim Cook, la patron d’Apple, auquel le candidat a déclaré qu’il lui imposerait de ré-internaliser la production de ses produits sur le territoire américain.
- Mark Zuckerberg, le patron de Facebook, qui a lancé une plateforme de lobbying, Fwd.us (Forward USA), qui soutient une réforme simplifiant les formalités administratives pour les immigrés.
Et derrière ces trois figures de proues, ce sont quasi tous les présidents de groupes technologiques et de startups, massivement sur la Silicon Valley en particulier, qui se sont placés derrière la candidate Clinton. Et qui, à la recherche de compétences, militent également pour faciliter l’entrée des étrangers sur le territoire américain, un des grands arguments d'opposition populiste de la campagne Trump !
Vers une réforme de la fiscalité des géants des IT ?
Une des principales craintes des géants du Web, en particulier, c’est une réforme du système fiscal américain qui les contraindrait à payer des impôts aux Etats-Unis sur leurs activités internationales. Sur ce plan, ils peuvent être rassurés, les pratiques fiscale du groupe Trump ne sont pas exemplaires…
On notera en revanche que les opérateurs télécoms échappent à ces craintes. Le candidat Trump a pris position pour « un internet libre », ce qui dans sa bouche se traduit par ‘un internet sous le contrôle des opérateurs’. C’est à dire dans les faits un internet à deux vitesses, basique pour monsieur tout le monde, payant pour ceux qui veulent bénéficier de plus de débits ou de services. A ce titre, le timing de la transmission du contrôle des DNS de l’administration américaine à l’Icann a certainement été au plus juste.
Autre inconnue, quelle sera la stratégie sécuritaire de l’administration Trump ? Les appels du candidats aux hackers pour pirater les comptes de sa concurrente, la proximité de sa vision d’un Etat fort avec celle du Russe Poutine, ont inquiété nombre d’acteurs de la démocratie. On peut s’attendre à un durcissement de la position américaine sur l’usage des outils et services de renseignement.
Le candidat Trump avait d’ailleurs là encore pris position contre Apple qui refusait d’aider le FBI à s’introduire dans un iPhone…
L’évolution des flux et règles du commerce international
Mais la principale inquiétude du monde des IT est commerciale et concerne le monde entier. Si le candidat applique à la lettre son programme de campagne – et en la matière, compte-tenu de la personnalité du bonhomme, on peut s’attendre à ce qu’il le fasse, ce qui le différenciera de certains de nos hommes politiques ! – on peut s’attendre à un durcissement des frontières commerciales et de l’immigration. Dans les deux cas, les entreprises technologiques, même sans être directement visées, seront les premières concernées... avec nos entreprises !
L’écosystème des startups, en particulier, pourrait être touché. On peut légitimement craindre des restrictions sur les échanges entre New York ou la Silicon Valley et la FrenchTech et les places technologiques européennes. Les flux d’échanges industriels avec la Chine, l'Allemagne ou le Japon risquent également d’être impactés...
Peut-on parler d’un Brexit à l’américaine ?
La question mérite d’être posée. La différence essentielle entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, c’est que si la première risque fortement de souffrir de son isolation, la politique économique des seconds risque de peser lourdement sur l’économie mondiale. Les effets pourraient donc bien être plus ravageurs pour des pays à l’économie plus fragile. Jusqu’à l’Europe, ne nous leurrons pas, qui risque probablement de devoir affronter un renforcement des barrières douanières vers le territoire américain.
Une réaction, pour conclure, peut nous surprendre. Après l’ouverture des marchés asiatiques à la baisse, les marchés financiers se sont repris et ont terminé dans le vert, comme pour saluer l’élection de Donald Trump ! Si le personnage et ses prises de positions inquiètent, Trump affiche au moins un avantage pour les marché : sa force. Même si une stratégie ne lui est pas favorable, les places boursières ont toujours préféré des positions fortes à l’indécision. Et s’il est une chose que l’ont peut reconnaître à Donald Trump, c’est qu’il incarne le changement ! Dans un mauvais sens, certainement. Favorable ou défavorable, la question est posée ?