L’adoption des technologies à la demande se généralise dans les grandes organisations. Le cloud, le SaaS et l’IA générative constituent désormais les piliers d’une informatique dite “de consommation”, censée conjuguer agilité, rapidité d’innovation et réduction des coûts fixes. Pourtant, la dernière étude du Capgemini Research Institute dresse un constat contrasté : à défaut de gouvernance intégrée et de maîtrise budgétaire, ces solutions génèrent des dépenses exponentielles et des résultats souvent en deçà des promesses initiales.
Le rapport s’appuie sur une enquête menée auprès de 1 000 dirigeants d’entreprises de plus d’un milliard de dollars de chiffre d’affaires, couvrant 12 secteurs d’activité. Il en ressort un paradoxe majeur : plus de 77 % des décideurs voient dans le cloud un levier de différenciation stratégique, mais une même proportion avoue peiner à en contrôler les coûts et à en tirer une valeur mesurable.
Une inflation technologique qui échappe à la DSI
Pas moins de 76 % des organisations ont dépassé leur budget cloud de 10 % en moyenne sur les douze derniers mois. Les surcoûts atteignent 68 % pour l’IA générative et 52 % pour le SaaS. Ces écarts s’expliquent par plusieurs facteurs : des ressources surdimensionnées ou inutilisées, des achats décentralisés, et un manque criant de visibilité sur les coûts réels. Dans 59 % des cas, ce sont les directions métiers qui pilotent les dépenses IA, reléguant la DSI à un rôle secondaire.Résultat : une forme de “shadow IT” prolifère, engendrant des redondances, des vulnérabilités et des imprévus budgétaires. Il est surprenant de constater que 98 % des dirigeants reconnaissent avoir contourné leur département informatique pour effectuer des achats technologiques. Dans ce contexte, plus de la moitié des entreprises se disent incapables de prévoir leur budget cloud ou de cartographier précisément leurs applications SaaS. Le phénomène de “factures surprises” devient structurel.
Un retour sur investissement encore très partiel
Malgré les investissements massifs, les bénéfices tangibles restent limités. Seuls 29 % des répondants estiment avoir atteint les économies attendues sur le SaaS, 33 % ont constaté une qualité de service conforme à leurs attentes dans le cloud, et 38 % seulement déclarent que l’IA générative a permis une accélération palpable de l’innovation.Les causes évoquées sont multiples : une gestion des coûts immature (71 %), des ressources sous-utilisées (62 %) et un manque de standardisation des indicateurs de performance (58 %). Capgemini souligne que les organisations continuent souvent à appliquer des modèles mentaux hérités du mode “on-premise”, sans repenser leurs architectures ni leur pilotage budgétaire à l’ère du cloud.
FinOps : une discipline en pleine expansion mais encore trop cloisonnée
Pourtant, 76 % des entreprises interrogées disposent d’une équipe FinOps, ou projettent d’en créer une. Toutefois, dans plus de la moitié des cas, ces équipes se limitent au périmètre du cloud, sans inclure le SaaS ni l’IA générative. À peine 2 % des répondants affirment disposer d’un FinOps transversal couvrant l’ensemble des technologies à la demande. De surcroît, les missions confiées à ces équipes restent essentiellement opérationnelles (tagging, contrats, optimisation ponctuelle), avec peu d’impact sur les décisions stratégiques.Or, selon Capgemini, le FinOps devrait jouer un rôle central dans l’alignement entre les dépenses technologiques et la valeur métier. Cela suppose de décloisonner les responsabilités, de doter les équipes d’outils d’analyse en temps réel, et de renforcer la coordination entre DSI, direction financière, achats et métiers. La mesure du retour sur investissement doit passer d’une logique de réduction de coûts à une approche intégrée orientée performance, agilité et durabilité.
Un impératif de durabilité et de souveraineté technologique
L’étude révèle aussi un coût environnemental préoccupant : 53 % des répondants reconnaissent que l’usage inefficace des technologies à la demande engendre une surconsommation énergétique et des émissions de carbone accrues. Pourtant, seules 36 % des entreprises disposent d’une stratégie de durabilité intégrée à leur approche FinOps. Capgemini plaide pour une convergence entre FinOps et GreenOps, combinant frugalité, architecture sobre et pilotage intelligent des charges de travail.En parallèle, la question de la souveraineté du cloud s’impose dans les arbitrages : 46 % des organisations intègrent déjà une stratégie de souveraineté dans leurs projets cloud, un chiffre qui monte à 50 % en Europe. Si cette orientation implique souvent un surcoût moyen de 11 %, 42 % des dirigeants se disent prêts à le supporter au nom de la résilience réglementaire et du contrôle stratégique des données.
Vers un pilotage fondé sur la valeur et non sur l’usage
Capgemini appelle les entreprises à passer d’une logique d’adoption à une logique d’optimisation. Cela implique une mutation des modèles : abandonner le “cloud first” pour un “cloud smart”, concevoir des architectures modulaires et efficientes, et intégrer les principes de sobriété dès la phase de design. L’IA peut jouer un rôle structurant dans ce pilotage, en automatisant l’analyse des coûts, la prévision des usages et la gestion dynamique des ressources.Plus largement, la gouvernance des technologies à la demande doit évoluer vers un pilotage partagé, aligné sur la valeur métier. Il s’agit moins de consommer que de transformer — et cela passe par une refondation des pratiques budgétaires, architecturales et décisionnelles. Dans cette nouvelle équation, le FinOps devient un levier stratégique, à condition de sortir de son périmètre historique pour embrasser l’ensemble du champ numérique à la demande.