La succession d’annonces autour de Copilot for Excel, de Sonnet 4.5 et de la génération de fichiers Excel par Anthropic marque un tournant. L’IA commence à redessiner le rôle du tableur dans l’entreprise, entre agent conversationnel, automatisation et format de sortie standardisé.

Longtemps perçue comme un standard technique, la feuille de calcul devient un produit dérivé conversationnel. Entre la fonction Copilot intégrée à Excel, les capacités multi-agent portées par Sonnet 4.5, et la génération directe de fichiers .xlsx par Claude, les signes d’une recomposition du marché de l’analyse se multiplient. À l’heure où les modèles linguistiques s’insèrent dans les usages métiers les plus enracinés, l’impact dépasse la simple automatisation. Il questionne la valeur réelle du travail d’analyse, le rôle des experts, et la gouvernance des données manipulées par les agents IA.

Avec sa fonction =COPILOT(), désormais généralisée, Excel permet de formuler des requêtes en langage naturel dans une cellule. L’utilisateur peut demander un résumé, une classification, une projection ou encore un traitement complexe sur des plages de données. L’agent s’exécute en se connectant à un modèle hébergé sur Azure, renvoyant des réponses contextualisées et parfois des visualisations intégrées.

En parallèle, l’intégration de Python dans Excel ouvre la voie à une extension vers des cas plus avancés, comme les simulations Monte Carlo ou les analyses de sensibilité. L’interface change de logique : le tableur n’est plus un espace de construction, mais un canal de dialogue avec un modèle prédictif ou prescriptif. Ce glissement abaisse le seuil d’entrée technique tout en posant de nouveaux enjeux : comment contrôler la validité des résultats lorsque la formule est remplacée par une requête ouverte ?

Sonnet 4.5 pousse les limites des agents de bureau

Dans cette course à l’agentification des outils bureautiques, Anthropic fait évoluer son modèle Claude avec Sonnet 4.5, une version conçue pour renforcer la fluidité des interactions complexes tout en optimisant le coût de traitement. Cette itération n’a pas pour objectif de battre des records de performance brute, mais de garantir une robustesse contextuelle accrue, une meilleure continuité de session, et une capacité affinée à exécuter des enchaînements de requêtes dans une logique opérationnelle. Les cas d’usage cibles sont clairs : génération de documents structurés, réponses explicatives, production de fichiers Excel, ou encore intégration dans des suites bureautiques via API.

Avec Sonnet 4.5, l’agent n’est plus un assistant passif : il devient un copilote conversationnel en mesure d’anticiper les besoins de l’utilisateur, de structurer des livrables et de s’adapter aux pratiques métiers. La notion de « copilote métier » prend ici toute sa consistance — bien au-delà de l’autocomplétion de formules ou de la reformulation textuelle.

Claude produit des fichiers Excel complets, sans tableur ouvert

La dernière évolution d’Anthropic matérialise ce changement de paradigme : Claude peut désormais générer des fichiers Excel complets en réponse à une consigne textuelle. L’utilisateur spécifie une structure attendue, un scénario ou un jeu de données, et reçoit un fichier .xlsx téléchargeable. Le contenu peut comprendre plusieurs feuilles, des tableaux dynamiques, des graphiques paramétrés et des styles de mise en forme. Cette capacité détourne le tableur de sa fonction première d’édition : Excel devient un format d’export, un conteneur.

Pour les éditeurs de solutions de reporting, les experts Excel et les intégrateurs de chaînes de consolidation financière, la menace est claire. Une partie du savoir-faire historique — génération de tableaux automatisés, scripts VBA, macros complexes — est désintermédiée par un agent IA qui produit en amont un document finalisé. La frontière entre création, exploitation et vérification se brouille, déplaçant la valeur vers le contrôle de qualité et la contextualisation métier.

Vers une redéfinition des compétences analytiques

Cette convergence entre modèles linguistiques, interfaces bureautiques et formats de restitution bouleverse les repères professionnels. Microsoft verrouille son écosystème en intégrant Copilot dans Excel, Outlook et Word, tout en proposant de nouvelles offres tarifaires dans Microsoft 365. De leur côté, les modèles concurrents comme Claude, Gemini ou Mistral se positionnent sur des usages transversaux : génération de documents, pilotage d’agents, assistance contextuelle. Le marché des outils d’analyse — souvent structuré autour d’Excel comme pivot — est contraint de se repositionner : soit en surcouche de gouvernance (audit, conformité, scénarisation métier), soit en orchestration plus large (chaînes IA, agents spécialisés, hubs d’entreprise).

Pour les directions financières et les équipes FP&A, le métier d’analyste n’est pas menacé mais déplacé. Le cœur de la valeur passe de l’assemblage de données à leur interprétation en contexte. La compétence recherchée devient la capacité à poser les bonnes hypothèses, à questionner les résultats de l’IA, et à les relier aux objectifs réels de l’entreprise.

Ce basculement impose de nouvelles pratiques : procédures de validation des sorties IA, catalogues de prompts standards, supervision humaine des traitements automatisés, acculturation rapide des équipes. En contrepartie, les bénéfices métier sont mesurables : réduction drastique des délais de reporting, démocratisation de l’accès aux données, fluidification des cycles de planification. Mais cette productivité ne vaut que si elle repose sur une maîtrise claire des responsabilités, une traçabilité des raisonnements et une capacité à arbitrer les usages. Le tableur n’est pas mort : il devient l’un des multiples points de passage d’une chaîne décisionnelle où l’IA tient, désormais, le stylo par défaut.