Donald Trump promet de signer un décret présidentiel « One Rulebook » pour centraliser la régulation de l’intelligence artificielle aux États-Unis. Cette décision, qui interdira aux États fédérés de légiférer localement sur l’IA, bouleverse la gouvernance du secteur, inquiète les défenseurs des libertés et interroge la capacité des acteurs étrangers à accéder au marché américain dans un contexte de compétition mondiale exacerbée.

L’ancien président américain vient d’annoncer qu’il signera dans les prochains jours un décret qui instaurera un cadre réglementaire unique pour l’IA sur l’ensemble du territoire. Présenté sous l’appellation « One Rulebook », ce dispositif vise à supprimer la diversité des lois locales et à imposer un standard fédéral obligatoire, censé accélérer l’approbation et le déploiement des solutions IA. Selon Donald Trump, l’actuel émiettement réglementaire pénalise la compétitivité des entreprises technologiques américaines, contraintes de naviguer entre cinquante régimes différents pour chaque innovation majeure. Le futur décret devrait ainsi simplifier les démarches administratives et offrir aux acteurs nationaux un environnement plus lisible, à l’heure où la rivalité avec la Chine et l’Europe s’intensifie.

La portée de ce décret va bien au-delà du simple affichage politique. En privant les États fédérés de la possibilité de voter des lois propres sur l’intelligence artificielle, la Maison Blanche entend restaurer la primauté du niveau fédéral, dans la droite ligne des mesures prises ces dernières années pour restreindre l’accès aux technologies stratégiques. Cette centralisation, présentée comme un levier d’attractivité pour les grands groupes et les investisseurs, suscite cependant une forte défiance : nombre d’élus locaux, d’autorités de régulation et d’organisations de défense des libertés dénoncent une recentralisation autoritaire, risquant d’imposer des standards uniformes dictés par Washington, au détriment des spécificités territoriales et de la capacité d’expérimentation des écosystèmes locaux.

Un décret exécutif pour imposer l’uniformisation réglementaire

Le choix d’un décret présidentiel marque une volonté claire d’agir sans attendre l’adoption d’une loi au Congrès, dans un contexte d’urgence perçue face à la course mondiale à l’IA. Pour les industriels, le nouveau « One Rulebook » doit permettre de lever les freins à la mise sur le marché, éviter la multiplication des procédures d’approbation et réduire l’incertitude juridique. Cette annonce rencontre un accueil favorable du côté des grands éditeurs et des plateformes américaines, qui voient dans l’harmonisation fédérale un atout compétitif décisif. À l’inverse, les PME innovantes, les gouvernements locaux et certains experts du secteur redoutent une standardisation qui profiterait avant tout aux grandes entreprises déjà installées, tout en affaiblissant la diversité des approches et la capacité d’innovation réglementaire des États.

La question des libertés publiques est également au cœur du débat. Les associations de défense des droits numériques s’inquiètent de la possibilité, pour le gouvernement fédéral, d’imposer des garde-fous techniques ou des systèmes de validation centralisée (vérification des algorithmes, contrôle des agents IA, surveillance des contenus), qui pourraient transformer les éditeurs en « censeurs techniques ». Ce risque de filtrage algorithmique soulève des interrogations sur l’équilibre entre sécurité, innovation et respect des libertés fondamentales, dans un contexte où la confiance dans l’impartialité des décisions fédérales demeure fragile.

Effet domino sur le marché mondial et les acteurs européens

Le décret « One Rulebook » ouvre une nouvelle séquence dans la compétition réglementaire internationale. À l’heure où l’Union européenne vient d’adopter l’AI Act, privilégiant une régulation différenciée selon le niveau de risque et la transparence des modèles, le choix américain d’un standard unique centré sur la compétitivité nationale accentue la rivalité transatlantique. Pour les fournisseurs européens de solutions IA, comme pour les multinationales actives sur le marché américain, le défi sera désormais d’aligner leurs pratiques et leurs architectures sur ce nouveau cadre fédéral, au risque d’être exclus d’un marché en phase de recentralisation stratégique.

La perspective d’un accès restreint ou conditionné par des exigences de certification fédérale soulève de nombreuses inquiétudes chez les partenaires internationaux. Nombre de responsables européens redoutent de voir se renforcer une logique d’extraterritorialité américaine, susceptible de fragmenter davantage l’espace numérique mondial et d’imposer aux entreprises étrangères une dépendance accrue aux standards fixés à Washington. Cette évolution impose aux décideurs européens de réviser leurs stratégies de conformité et de coopération, tout en accélérant la mise en place de standards ouverts et interopérables.

Centralisation, confiance et équilibre des pouvoirs

La centralisation du contrôle réglementaire sur l’intelligence artificielle pose une question de fond sur la gouvernance des technologies émergentes : peut-on garantir à la fois sécurité, compétitivité et pluralité des approches ? Les précédents récents, qu’il s’agisse des sanctions sur les technologies stratégiques ou des limitations à l’exportation de composants critiques, nourrissent une défiance croissante envers la volonté présidentielle d’imposer un contrôle direct sur l’innovation numérique. Les voix discordantes insistent sur la nécessité de préserver la capacité d’expérimentation locale, la diversité des modèles et l’équilibre des pouvoirs, conditions indispensables à la vitalité de l’écosystème IA.

Pour l’ensemble du secteur, l’entrée en vigueur prochaine du décret « One Rulebook » constitue un basculement historique. Si le pari de Donald Trump sur la centralisation et la normalisation séduit une partie des industriels, le risque d’une recentralisation excessive, d’un filtrage algorithmique et d’un usage politique du cadre réglementaire inquiète la société civile et les partenaires étrangers. Pour les entreprises européennes, l’enjeu consiste à anticiper la reconfiguration du marché mondial et à défendre la pluralité des modèles de gouvernance, seule garante d’un développement équilibré et soutenable de l’intelligence artificielle à l’échelle internationale.

publicité