Critiquée pour sa célérité à mettre des règles un peu trop précipitamment, l’Union européenne est régulièrement accusée de freiner l’innovation technologique au nom de la précaution, ceci, avant de mesurer l’impact économique de ses décisions sur la compétitivité des acteurs locaux, en particulier les startups et PME du numérique.

Ayant entendu la critique, la Commission européenne envisage de réviser certaines modalités d’application de l’Acte sur l’intelligence artificielle (IA Act) pour en réduire l’impact sur les jeunes entreprises innovantes. Ce signal politique fort intervient alors que la charge réglementaire est de plus en plus perçue comme un frein à l’innovation et à la compétitivité dans le secteur technologique européen.

Une régulation pionnière, mais lourde pour les petites structures

Adopté fin 2023, l’IA Act (ou Acte sur l’intelligence artificielle) fait figure de première législation d’envergure mondiale encadrant le développement et l’usage des systèmes d’intelligence artificielle. Classant les usages de l’IA selon différents niveaux de risque (inacceptable, élevé, limité, minimal), la réglementation impose aux entreprises développant ou intégrant de l’IA des obligations de conformité progressives, mais strictes, notamment pour les systèmes à haut risque : documentation technique, gestion des biais, transparence algorithmique, supervision humaine, etc.

Si cette approche par les risques se veut équilibrée et protectrice des droits fondamentaux, elle implique également un volume important de démarches administratives, de vérifications et de contrôles, avec des coûts significatifs de mise en conformité. Or, selon plusieurs acteurs du secteur, ces obligations pourraient désavantager les startups européennes au profit d’acteurs établis ou extraeuropéens, moins contraints juridiquement et financièrement pour y faire face.

Un retour terrain attendu pour adapter l’application de la loi

Face à ces risques, la Commission européenne a indiqué vouloir engager des consultations auprès des jeunes entreprises concernées dans le cadre de son initiative « Plan d’action pour un continent de l’IA ». L’objectif est d’identifier les points de friction les plus pénalisants et proposer des mesures d’ajustement. Il pourrait s’agir, par exemple, de dispositifs d’accompagnement, de délais de mise en conformité allongés
ou d’exemptions ciblées.

Selon Reuters, Henna Virkkunen, députée européenne chargée du numérique, présentera cette orientation dans les jours à venir. Elle défend une approche pragmatique visant à concilier protection des citoyens et soutien à l’innovation. Car, rappelle-t-elle, « une régulation excessive ou mal calibrée risque de tuer dans l’œuf les ambitions industrielles européennes en matière d’IA ».

Focus : les fournisseurs de modèles d’IA face à la complexité réglementaire

Les obligations prévues par l’IA Act pèsent particulièrement sur les fournisseurs de modèles fondamentaux (foundation models), comme ceux développant des systèmes de traitement du langage ou d’analyse multimodale. Ces modèles, utilisés dans une multitude d’applications, doivent répondre à des exigences renforcées de transparence et de contrôle de la qualité des données d’entraînement.

C’est le cas par exemple de la startup française Mistral AI, positionnée sur les modèles de langage open source. Bien que soutenue par de puissants investisseurs, l’entreprise a exprimé à plusieurs reprises le besoin d’un cadre réglementaire proportionné, permettant aux acteurs européens de rester compétitifs face aux géants américains comme OpenAI ou Anthropic. Selon des estimations du Hub France IA, la mise en conformité avec l’IA Act pourrait représenter entre 5 et 10 % des coûts de R&D annuels pour ce type d’acteurs, ce qui peut freiner la cadence de publication des modèles et leur adoption dans les secteurs publics et privés.

De nombreux fournisseurs soulignent également l’incertitude autour de certaines définitions clés (modèles à usage général, risque systémique, supervision humaine…), ce qui accroît les coûts indirects liés à l’expertise juridique et à la veille réglementaire permanente.

Un enjeu stratégique pour la souveraineté technologique européenne

La dynamique entrepreneuriale européenne dans l’IA repose en grande partie sur les startups et les PME technologiques. Selon une étude de Dealroom, l’Europe comptait en 2023 plus de 8 000 jeunes pousses actives dans le domaine de l’IA, avec une concentration en Allemagne, en France, au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Ces entreprises constituent un vivier d’innovation essentiel, mais aussi fragile : leur modèle repose sur l’agilité, la vitesse de développement, et une capacité limitée à absorber des coûts de conformité juridiques ou techniques élevés.

Dans ce contexte, la Commission cherche un équilibre entre ambition normative et attractivité économique. Le risque, à terme, serait que les talents et les capitaux se détournent de l’Europe pour rejoindre des juridictions perçues comme plus accueillantes, comme les États-Unis, dont l’approche de l’IA repose pour l’instant sur des lignes directrices volontaires plutôt qu’une réglementation contraignante.