Nouvel acte dans la saga entre Microsoft et OpenAI avec l’annonce d’un accord stratégique majeur valorisant la participation de Microsoft à environ 135 milliards de dollars pour une part de 27 % dans l’entité à but lucratif. Trois enseignements essentiels en découlent : l’investissement initial de 2019 s’est multiplié de manière exponentielle, les droits exclusifs de Microsoft sont prolongés tout en s’ouvrant partiellement à d’autres fournisseurs cloud, et la gouvernance d’OpenAI est profondément redéfinie.

Scellée en 2019, l’alliance entre Microsoft et OpenAI marquait à l’origine un pari ambitieux sur le potentiel de l’intelligence artificielle générative. En l’espace de six ans, cet engagement s’est transformé en un instrument structurant pour le positionnement de Microsoft dans le cloud et l’IA, consolidant son rôle de fournisseur d’infrastructure incontournable pour les usages IA avancés.

L’investissement initial de 1 milliard de dollars avait permis à Microsoft de sécuriser une exclusivité sur l’utilisation commerciale des modèles OpenAI via Azure. Cette exclusivité a été renforcée en 2023 avec un apport complémentaire estimé à plus de 10 milliards de dollars, officialisant une phase de partenariat à long terme. L’accord de ce 28 octobre 2025 franchit une nouvelle étape. Microsoft y confirme son rôle de fournisseur exclusif pour les modèles frontière d’OpenAI, prolonge ses droits jusqu’en 2032 et obtient une valorisation de sa participation à 135 milliards de dollars. En contrepartie, OpenAI pourra désormais proposer certains services via d’autres clouds, à l’exclusion des modèles stratégiques.

Une gouvernance recomposée sous surveillance éthique

L’accord s’accompagne d’une transformation en profondeur de la structure capitalistique d’OpenAI. La société for-profit est désormais contrôlée par une entité publique à bénéfice (Public Benefit Corporation), chapeautée par une fondation indépendante. Microsoft détient 27 % de cette entité, sans droit de vote, mais avec des prérogatives fortes sur l’accès à la propriété intellectuelle des modèles. Cette configuration vise à rassurer les régulateurs sur la finalité non exclusivement commerciale du projet tout en consolidant les intérêts stratégiques de Microsoft.

Un comité d’experts indépendants est également mis en place pour valider toute revendication d’émergence d’une intelligence artificielle générale. Cette clause reflète les tensions persistantes entre ambition scientifique, impératifs de marché et exigences de transparence. Le flou autour de la définition même de l’AGI en fait un repère instable, mais structurant du contrat. Elle conditionne notamment la prolongation de certains droits exclusifs sur Azure et reporte toute diversification significative tant que cette étape symbolique n’a pas été franchie.

Un modèle d’ouverture sélective vers le multicloud

Si Microsoft conserve un avantage clair sur les modèles avancés et sur les API critiques, l’accord introduit une possibilité d’ouverture encadrée pour les clients d’autres fournisseurs cloud. Certaines interfaces non stratégiques, des usages spécifiques ou des environnements souverains pourraient désormais accéder aux produits OpenAI hors Azure. Cette évolution, bien que limitée, marque une inflexion dans la gouvernance technique et commerciale d’OpenAI.

OpenAI s’engage néanmoins à consommer jusqu’à 250 milliards de dollars de services Azure sur la durée du contrat. Microsoft renonce à son droit de préemption sur les futurs choix d’infrastructure cloud, mais conserve un droit de regard sur l’évolution des produits génératifs intégrés. Ce modèle hybride, entre verrouillage technique et permissivité contrôlée, reflète la pression croissante des régulateurs sur les situations de dépendance excessive et les aspirations des entreprises clientes à plus d’interopérabilité.

Des conditions d’usage qui engagent les clients à long terme

Pour les entreprises utilisatrices, cet accord se traduit par une consolidation de l’offre IA autour de l’écosystème Microsoft. Les services Copilot, Azure AI Studio et l’accès aux modèles OpenAI forment un triptyque cohérent, soutenu par des engagements en matière de performance et de mise à l’échelle. L’intégration native dans les suites Microsoft 365 ou Dynamics renforce cette cohérence d’usage.

Mais cette centralisation soulève aussi des enjeux de gouvernance et de stratégie d’évitement de verrouillage. Les directions informatiques devront évaluer les clauses de portabilité, anticiper des plans de sortie ou d’hybridation et négocier les conditions contractuelles encadrant les usages industriels. La clause AGI, en particulier, pourrait prolonger indéfiniment certaines exclusivités. Il convient donc de l’interpréter comme une variable d’ajustement politique autant que technique. Elle conditionne les leviers d’indépendance pour les entreprises, tout en demeurant volontairement floue dans ses critères de déclenchement.

OpenAI, phare de l’IA mondiale ou prisonnière d’un écosystème fermé ?

Derrière l’accord financier se dessine une stratégie d’enracinement massif d’OpenAI dans l’économie des infrastructures. L’engagement à consommer 250 milliards de dollars de services Azure témoigne d’une dépendance structurelle à la puissance de calcul. Sam Altman, en misant sur des modèles de plus en plus gourmands, lie le destin d’OpenAI à celui des fournisseurs de puissance computationnelle. Cette orientation a pour effet collatéral d’ancrer les géants du cloud dans le devenir d’un acteur qui se voulait initialement indépendant et à but non lucratif.

Pour Microsoft, cette alliance transforme un pari spéculatif en levier industriel. Pour les autres hyperscalers, elle redéfinit les lignes de partage et accentue la nécessité de trouver des alternatives. Pour les entreprises clientes enfin, elle offre des outils puissants, mais dans un cadre contractuel et éthique encore mouvant. La promesse d’un accès contrôlé à une intelligence généralisée reste suspendue à des critères d’évaluation incertains, à des arbitrages politiques internes et à la capacité des régulateurs à encadrer ces alliances asymétriques.

Tandis que les débats sur la superintelligence, la gouvernabilité et la souveraineté numérique s’intensifient, l’accord entre Microsoft et OpenAI cristallise les tensions entre innovation radicale, dépendance technologique et exigence de transparence. Il dessine aussi les contours d’une géopolitique industrielle de l’IA où les capacités d’entraînement, la maîtrise des chaînes d’approvisionnement et la compatibilité réglementaire deviennent les nouveaux critères de domination.

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