La Confédération helvétique se dote d’un grand modèle de langage baptisé Apertus. Conçu par l’EPFL, l’ETH Zurich et le Centre suisse de calcul scientifique, il incarne une approche ouverte, multilingue et transparente, destinée à affirmer une souveraineté numérique dans un paysage dominé par les géants américains.
Lancé officiellement début septembre, Apertus marque l’entrée de la Suisse dans la compétition mondiale des modèles de langage. Le projet réunit l’École polytechnique fédérale de Lausanne, l’ETH Zurich et le CSCS, qui ont mobilisé plus de 10 millions d’heures GPU pour entraîner deux variantes, de 8 et 70 milliards de paramètres. L’ensemble des données, des poids et de la méthodologie est rendu public, sous licence permissive, permettant un usage académique, commercial et institutionnel. Cette transparence constitue un choix stratégique, à rebours des modèles fermés dominants.
Apertus se distingue par la diversité linguistique de son corpus : plus de 40 % des 15 000 milliards de tokens d’entraînement sont non anglophones. Des langues peu représentées ailleurs, comme le suisse allemand ou le romanche, y figurent, aux côtés des grands idiomes européens. Cette orientation reflète une volonté politique d’inclusion linguistique et culturelle, mais aussi de répondre à un besoin scientifique : tester et fiabiliser l’IA dans des environnements où les ressources linguistiques sont rares.
Un positionnement stratégique face aux géants américains
Le modèle est une émanation de la Swiss AI Initiative, avec le soutien du Conseil de l’ETH et du CSCS. Il ne s’agit pas seulement d’un projet de recherche, mais d’une infrastructure nationale au service de la compétitivité industrielle et de l’innovation publique. Swisscom a d’ores et déjà annoncé l’intégration d’Apertus dans son offre d’IA souveraine. La Confédération entend ainsi garantir aux acteurs économiques un accès à des capacités de traitement avancées sans dépendre des licences étrangères ni subir les contraintes d’extraterritorialité juridique.
À l’international, Apertus ambitionne d’être un contrepoids aux modèles propriétaires d’OpenAI, d’Anthropic ou de Google. Sa mise à disposition sur Hugging Face et via le réseau Public AI favorise la recherche collaborative et l’auditabilité des algorithmes. Ce choix d’ouverture renforce la légitimité de la Suisse dans les débats sur la régulation, de la transparence et de l’éthique des IA. Il constitue aussi une réponse concrète aux critiques croissantes sur l’opacité des grands modèles entraînés à partir de données protégées.
En plaçant l’IA ouverte au cœur de sa stratégie, la Suisse prépare un environnement favorable aux chercheurs, aux startups et aux institutions publiques. Les retombées attendues sont multiples : réduction des coûts de licences, renforcement de la sécurité juridique des usages, développement d’applications locales adaptées aux besoins spécifiques, et création d’un socle technologique partagé. Cette approche positionne la Confédération comme un acteur crédible d’une IA souveraine, équitable et durable, à l’heure où la maîtrise des modèles conditionne la compétitivité des nations.