Par Pierre Hébrard, CEO, Pricemoov

Comment pratiquer une stratégie de prix efficiente lorsqu’une entreprise référence plusieurs milliers voire millions de produits, les commercialise au travers de plusieurs canaux de vente et partout dans le monde ? Comment une entreprise peut-elle réajuster ses prix en temps réel pour intégrer les aléas de l’offre et de la demande et la pression de la concurrence ? Prendre en compte tous ces paramètres nécessite de mettre en place une organisation spécifique et de déployer des outils adaptés.

Volatilité et diversité des clients, concurrence féroce, multiplication des canaux de ventes (magasins, distributeurs, e-commerce...)... quel que soit leur secteur d’activité et leur taille, toutes les entreprises sont confrontées aux affres du pricing. En effet, comment gérer la complexité de l’élaboration d’une grille tarifaire lorsqu’une entreprise commercialise 500 produits différents à 5 conditions d’achat pour chacun d’eux, vendus sur 6 segments d’activité, au travers de 3 canaux et 50 points de ventes ? Comment élaborer une grille de prix harmonieuse pour ces 2 250 000 produits sachant qu’ils doivent prendre en compte des règles de cohérences multiples, un contexte du marché en constante évolution et être respectés au sein de l’entreprise et par l’ensemble des équipes ? Déterminer le juste prix, celui que les consommateurs sont potentiellement prêts à payer, contraint les entreprises à résoudre en continu une équation aux multiples paramètres

Construction d’une grille tarifaire rationnelle et cohérente

Première pierre de l’édifice d’une stratégie de pricing efficiente : la construction d’une grille tarifaire rationnelle et cohérente. Chaque prix doit être étudié au travers d’un prisme multidimensionnel intégrant les gammes de produits, les segments clients, la géographie, la diversité des canaux, les promotions et les objectifs de l’entreprise. Ainsi une marque dont la baseline est le low cost ne peut se permettre de pratiquer des prix supérieurs à ceux de ses concurrents ; un produit de classe premium doit toujours être commercialisé à un tarif supérieur à celui du standard ; un format 150 ml doit être vendu plus cher que son équivalent de 100 ml... Or, tout consommateur a déjà constaté des aberrations de prix comme un tarif plus élevé pour l’achat de trois paquets de gâteaux annoncés comme une promo que celui des trois mêmes paquets achetés séparément.

Courantes, les incohérences sont dues à la complexité de l’équation à résoudre devant la grande variété de règles à intégrer pour déterminer une grille tarifaire rationalisée. Une opération qui nécessite des outils appropriés et qui incite souvent les grandes entreprises à faire appel à des cabinets de conseils spécialisés pour mener à bien cette tâche. Toutefois, pour celles qui ne peuvent recourir à ce type de prestataires très onéreux, soit 90% des entreprises**, la stratégie de pricing reste élaborée à partir de tableaux Excel, inappropriés à la complexité de ces analyses.

Prendre en compte les aléas du marché

Deuxième pierre de cet édifice : le contexte de vente. Celui-ci repose sur tous les aléas pouvant impacter l’offre et la demande : l’arrivée d’un nouveau concurrent, l’évolution du prix du marché, une grève de trains, des conditions météo, une pénurie de produits, etc. Les fruits et légumes par exemple affichent des prix variables selon la saison et les conditions météorologiques, le secteur aérien ou UBER ajustent leurs prix en temps réel en fonction de la demande ; un loueur de voiture profitera de la grève des trains pour augmenter ses prix... Adapter les prix à l’évolution constante du marché nécessite de prendre en compte tout un volume de données et de les traiter en temps réel (données internes à l’entreprise, open data, etc). Mais là encore les tableaux Excel, le SI des entreprises et l’organisation silotée des données freinent le déploiement d’un modèle de pricing agile. Et ce manque de souplesse et de réactivité des prix enfreint la compétitivité des entreprises et devient source de pertes de revenus.

Construire la grille de façon collégiale

Troisième pierre : synchroniser les prix. Dans une entreprise plusieurs départements collaborent à la mise en œuvre de la stratégie tarifaire. La direction pricing, dont la mission est de créer la politique de prix ; la direction marketing dont le travail consiste à mettre en œuvre les actions commerciales (promotions, programmes de fidélités, soldes, etc) ; le département achat qui crée les prix de ses propres lignes de produits, la direction commerciale qui négocie les prix avec les comptes en BtoB et les opérationnels de terrain qui adaptent les prix à l’échelle de leur point de vente. Cette multiplication des intervenants a pour conséquence de voir, par exemple, un même produit affiché à deux prix différents dans deux points de vente éloignés de quelques mètres, voire sur deux canaux différents. Ainsi chaque département élaborant des prix adaptés à ses propres contraintes (type de canal, géographie, clients, etc), l’entreprise se retrouve à la tête d’une grille tarifaire hétéroclite et non harmonieuse. L’entreprise véhicule alors une image de marque dégradée incapable de maîtriser ses tarifs. Or, le prix est un élément constitutif du positionnement d’une marque.

Pratiquer une politique tarifaire irrationnelle est donc non seulement néfaste pour l’image de l’entreprise, mais également, là aussi, une source de perte de revenus. Toute entreprise doit donc effectuer un savant dosage entre contraintes spécifiques des départements et de son écosystème (franchises, distributeurs, canaux de ventes..) et une politique de prix cohérente et harmonisée en tout lieu.

La mise en œuvre d’une telle stratégie reste complexe de part toutes les données et traitement de données qu’elle requiert. De nouveaux outils de pricing ont vu le jour, en s’appuyant notamment sur l’IA, pour résoudre cette complexité et automatiser les tâches. Nés dans l’aérien à l’origine, ils s’adaptent maintenant à tous les secteurs d’activité, et permettent aux entreprises de gagner en réactivité et en cohérence vis-à-vis de leurs concurrents.

** Sur plus d’une centaine d’entretiens réalisés entre novembre 2017 et janvier 2019 auprès de PME et ETI de tous secteurs, au CA allant de 10 millions à 2 milliards d’euros