En 2002, l’épidémie de SRAS a laissé un lourd bilan humain de plus de 800 décès et de milliers d’autres infectées. Mais les spécialistes s’accordent également à dire que cette période a été l’un des principaux vecteurs du développement de l’industrie technologique de la Chine. La raison en est simple. Les gens étaient obligés de rester chez eux pour éviter de contracter le virus. En parallèle, les industries technologiques comme Taobao d’Alibaba ont développé les premiers services de vente en ligne de type eBay. C’est toutefois ce qu’affirme Duncan Clarck, expert de l’internet chinois et auteur de la biographie de Jack Ma, fondateur d’Alibaba. Actuellement, il semble que l’industrie chinoise réédite cette expérience dans le contexte de l’épidémie de coronavirus Covid-19 dans plusieurs villes du pays. Les géants technologiques sont en train de proposer à nouveau des services aux consommateurs et pour le gouvernement. Selon les dernières études réalisées par la société d’analyse QuestMobile, le temps passé par les internautes chinois sur la toile a augmenté considérablement depuis l’épidémie de Covid-19. Il est passé de 6.1 heures par jour en janvier à 6.8 heures par jour au cours du Nouvel An chinois pour finalement s’établir à 7.3 heures par jour après les vacances, au plus fort de l’expansion de la maladie. Voici les principaux services proposés par les industries numériques chinoises pour faire face au Covid-19.

Dans un contexte de lente reprise de travail dans les différentes entreprises, les applications de travail à distance connaissent une croissance exponentielle. C’est une situation assez paradoxale dans la mesure où le secteur des technologies logicielles chinoises connaît un net retard par rapport à l’Occident. Mais l’épidémie semble contraindre les sociétés chinoises à proposer des services plus adaptés aux professionnels. L’éducation en ligne est également en train de prendre le même essor selon l’institut de recherche Sensor Tower. Trois applications de travail à domicile semblent prendre le pas sur ce marché émergent. Il s’agit de DingTalk d’Alibaba, Work de WeChat, et Lark de ByteDance. DingTalk a connu une croissance de 1.5% entre le 22 janvier et le 20 février, contre 6% pour Lark et dans une « moindre mesure », 572 % pour Work de WeChat. DingTalk a été lancé par Alibaba en 2014. En début février, c’est l’application la plus téléchargée par les utilisateurs. L’entreprise se targue d’avoir rassemblé plus de 200 millions d’utilisateurs de plus de 10 millions d’entreprises dès août 2019. De son côté, Work de WeChat a été lancée en 2016. En décembre, l’application a enregistré plus de 2.5 millions d’utilisateurs du monde professionnels, et plus de 60 millions d’utilisateurs actifs. Enfin, l’application Lark, créée seulement en 2019, s’est située seulement à la 300e place des applications en début février. Mais depuis, de nombreux utilisateurs ont rejoint la plateforme grâce aux annonces qu’elle a placé sur Douyin, la version chinoise de Tik Tok, qui est aussi la première application publicitaire préférée des annonceurs grâce aux vidéos verticales et courtes qu’elle propose. Par contre, il est difficile de prévoir si cette croissance soudaine des applications de travail à domicile perdurera dans le temps. D’ailleurs, DingTalk et Work semblent déjà se bloquer, n’étant pas capables de supporter un afflux massif d’utilisateurs. Il est plus que probable que les entreprises les abandonneront une fois que la situation sera revenue à la normale. De plus, la grande majorité des employés se plaignent de ces applications à cause des règles intrusives adoptées par leurs employeurs comme l’obligation d’allumer la webcam. D’autre part, DingTalk qui a jouté récemment des outils d’hébergement de cours en ligne a frustré les étudiants qui ont espéré rallonger leurs vacances.

Face à la propagation du coronavirus, les autorités chinoises ont largement adopté l’obligation du port de masque facial aux citoyens. Par contre, cette règle rend difficile l’identification basée sur la reconnaissance faciale. Les sociétés technologiques ont ainsi proposé des solutions alternatives comme le balayage de l’iris. Depuis quelques jours, certains voyageurs ont remarqué qu’ils pouvaient passer les points de passage dans les gares sans enlever leur masque. Mais à l’heure actuelle, il n’est pas possible de savoir si les autorités ont assoupli les règles de contrôle biométrique pour les personnes à faible risque, ou si elles ont adopté une technologie plus avancée. Dans tous les cas, les voyageurs sont encore obligés de présenter leur carte d’identité pour vérifier leurs données biométriques.

Dans certaines provinces chinoises, les responsables des gouvernements locaux ont mis en place des outils technologiques permettant aux citoyens d’obtenir des enregistrements numériques de leur historique de voyage. C’est en quelque sorte un permis accordé aux gens pour les autoriser à reprendre certaines de leurs activités quotidiennes comme aller au travail ou faire des courses. L’application Close Contact Detector est l’une de ces applications qui offrent un historique de voyage aux utilisateurs. Mais cette dernière connaît un retour assez ambigu de la part des utilisateurs. Les utilisateurs se demandent pourquoi le gouvernement n’a pas utilisé ces données d’historique de voyage pour contenir le virus dès son apparition en restreignant la circulation des voyageurs. Cela montre en tout cas que la Chine peine encore à consolider les données issues de ses différentes provinces. Depuis la crise sanitaire, l’effort du pays à l’unification des données est décuplé. Mais une question subsiste : comme le gouvernement va-t-il les utiliser une fois que la crise sera passée ? La plupart des permis numériques sont distribués par WeChat. À Shenzen, siège de la société, les conducteurs peuvent laisser entrer leur voiture dans la ville après avoir scanné un QR code suspendu par un drone. Cela permet aux gens d’éviter les contacts avec les agents des points de contrôle, tout en permettant aux autorités d’archiver leur historique de voyage.

Comme c’est généralement le cas lors d’une phase épidémique, les rumeurs enflent au fur et à mesure que la propagation de la maladie s’intensifie. Des citoyens chinois ont créé une communauté en ligne pour lutter contre les désinformations. Il s’agit d’une fonctionnalité de vérification des faits qui embarque en même temps une carte de l’évolution du virus en temps réel. Le service Yikuang est aussi un service développé sur WeChat, conçu par des développeurs indépendants du site Sspai.com, qui permet de cartographier les quartiers atteints par le virus en puisant dans les données officielles. D’autres citoyens, comme ce lycéen de Shanghai, ont aussi lancé un blog qui résume la situation en Chine et au niveau mondial de la propagation du Covid-19.

Un des domaines qui a le plus profité de la propagation du virus est celui du divertissement en ligne. Selon QuestMobile, le nombre de vues des vidéos courtes est passé de 492 millions à 569 millions après les vacances du Nouvel An. Les sites de streaming vidéo tentent de rassembler les musiciens dans des concerts virtuels, tandis que les films sont de plus en plus diffusés en ligne après la fermeture de plusieurs salles de cinéma. Par ailleurs, un grand nombre de villes chinoises ont interdit la fréquentation des restaurants face à la propagation du virus, une aubaine pour les services de livraison de nourriture. Par contre, pour éviter les contacts entre les personnes, certaines sociétés ont adopté des solutions inattendues, à l’exemple de Meituan Dianping, qui propose une armoire « libre-service » où sont stockées temporairement les commandes des clients avant que ces derniers ne viennent les chercher.

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