Selon Facebook, Cambridge Analytica, qui a travaillé à l’élection du candidat Trump, a eu accès aux données personnelles de 87 millions d’utilisateurs du réseau social. Mais selon celui-ci, ce sont 2 milliards d’utilisateurs qui ont été rendus accessibles ! Au fait, et les Français ?

Facebook est empêtré dans les dérives des dernières élections américaines. Rappelons que les équipes du candidat Trump, en plus du coup de pouce probable des hackers russes, ont eu accès et exploité des données confidentielles de millions d’utilisateurs de la plateforme Facebook. Plus de 87 millions (une évaluation qualifiée de ‘conservative’ par Facebook) auraient été mis en lien avec la machine de campagne du candidat Donald Trump selon Mike Schroepfer, CTO de Facebook.

J’ai eu la chance, voici quelques années, de rencontrer le data analyst du candidat Obama, qui m’avait expliqué que la création de fichiers est essentielle non pas pour prospecter de nouveaux électeurs, mais pour identifier les profils des sympathisants d’un candidat. L’objectif étant moins de les influencer, leur choix est en théorie arrêté, que de les pousser à venir voter. C’est en effet dans la mobilisation des abstentionnistes que se gagnent aujourd’hui les élections américaines.

Cambridge Analytica

Cambridge Analytica est une société de communication stratégique, créée en 2013 par la famille de Robert Mercer et filiale du Strategic Communication Laboratories spécialisée en politique américaine, qui combine des outils d'exploration et d'analyse des données.

Société sulfureuse s’il en est, Cambridge Analytica (CA) :

  • En 2014 – a été impliquée dans 44 élections américaines.
  • En 2014 – a accompagné des partis politiques indiens lors des élections législatives, en particulier le parti nationaliste hindoue BJP.
  • En 2015 – aurait influencé les électeurs britannique en faveur du Brexit tout en aidant à contourner le plafond de dépenses du Leave.EU pour environ 1 million de livres.
  • En 2015 – a été engagée dans la campagne du républicain Ted Cruz (supporté par la famille Mercer), qui échouera face à Donald Trump.
  • En 2016 – a été impliquée dans la campagne du candidat Trump.
  • En 2017 – a eu recours à des pots-de-vin et à des prostituées ukrainiennes pour faire chanter des hommes politiques (dixit son CEO Alexander Nix piégé par une caméra cachée de Channel 4).

L’affaire Facebook

En 2016, CA s’est vanté d’avoir collecté 5.000 data points auprès de 220 millions d’américains… Ce chiffre n’a pas été confirmé. Par contre, CA a pris une licence auprès de Facebook portant sur les données de 30 millions d’utilisateurs du service et au profit de la campagne du candidat Trump.

Aujourd’hui, Facebook affirme officiellement que CA a eu accès à environ 87 millions d’utilisateurs du réseau. Au départ, un application de quiz -  Thisisyourdigitallife - aurait permis de collecter les informations de 270.000 personnes. C’est en partant de cette base, et par le jeu des amis et des informations partagées, que CA a pu consolider sa base de 87 millions d’individus.

210.000 Français

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Comme on le constate dans le schéma ci-dessus (source : évaluation de Business Insider), la collecte illégale des données personnelles d’utilisateurs de Facebook a concerné massivement (81,6%) les Américains.

Et les Français ? Ils ne figurent pas dans le Top 10, mais ils ne sont pas loin. 211.591 utilisateurs français de Facebook seraient potentiellement touchés par le scandale… L’aspect ‘potentiel’ provient des 76 personnes résidant en France qui ont téléchargé l’application de CA, et bien sûr leurs ‘amis’ qui ont fait de même dans le monde.

Mark Zuckergerg et Facebook réagissent

Le CEO et fondateur de Facebook aura rarement été aussi présent dans la presse américaine, mais l’affaire CA est suffisamment grave pour que Marc Zuckerberg tente d’occuper l’espace médiatique. L’efficacité de la démarche est cependant douteuse, Bloomberg par exemple évoque « de nouvelles preuves de la façon dont le géant des médias sociaux a échoué à protéger la vie privée des gens ».

Facebook a en particulier annoncé la suppression d’une fonctionnalité, celle qui permet aux utilisateurs de saisir des numéros de téléphone ou des adresses e-mail dans l'outil de recherche de Facebook pour trouver d'autres personnes. C’est cette fonctionnalité qui aurait été utilisée par des « acteurs malveillants » pour racler des informations des profils publics.

« Compte tenu de l'ampleur et de la sophistication de l'activité que nous avons vue, nous pensons que la plupart des gens sur Facebook auraient pu avoir leur profil public égratigné de cette manière, a déclaré Marc Zuckerberg. Nous avons donc désactivé cette fonctionnalité ». Il a enchainé en affirmant : « Nous n'avions pas une vision suffisamment large de notre responsabilité et c'était une énorme erreur. C'était mon erreur. Nous élargissons notre vision de notre responsabilité. »

Ne touchez pas à nos/vos données...

S’il est un domaine, cependant, sur lequel Marc Zuckerberg se montre intraitable, c’est sur celui des données. Facebook ne rassemblera pas moins de données ! Affirmant que la grande majorité du retour d’information que le réseau obtient de ses ‘clients’ c’est de souhaiter une meilleure expérience, il continuera de collecter toujours plus d’informations. Ce qui dans la réalité se traduit par plus de données pour de 'meilleures' pubs...

Et pourquoi, malgré la pression qui se renforce autour de la protection des données personnelles, tout du moins dans les pays occidentaux, Facebook et confrères ne continueraient-ils pas de collecter, conserver, analyser et exploiter massivement nos données ? C’est la ligne que ‘Zuck’ entend maintenir, et pour cela il rappelle que Facebook n'a pas remarqué « d'impact significatif » de la désertion d'utilisateurs… Un discours que la finance a apprécié, après avoir plongé sur les vagues des révélations autour des pratiques de CA, la valeur de l’action Facebook est remontée sur le seul discours de son patron.

Facebook dans l’oeil du législateur américain

Marc Zuckerberg devra comparaître devant le Comité judiciaire et du commerce du Sénat américain le 10 avril prochain. Le gouvernement australien aurait également ouvert une enquête officielle. D’autres suivront... Ces enquêtes auront pour objet de vérifier si Facebook a enfreint les lois sur la vie privée des différents pays. Quant à Zuckerberg, il défendra en priorité le modèle commercial de sa société.

L’affaire Facebook pourrait au moins permettre aux législateurs du monde entier d’envisager d’imposer une plus grande réglementation des médias sociaux. Ce n’est certainement pas l’Internet qui va s’en trouver grandi...

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