Par Christophe Keromen, Catalyseur de transformation systémique & agile chez Soat

La transformation agile requiert une initiative et un soutien déterminés des décideurs. Si les adaptations et innovations émergent des collaborateurs, il revient au management de créer un contexte favorable à cette émergence. Malgré l’influence des cabinets de conseil en organisation, la première étape ne consiste pas à créer une organisation cible, issue d’un modèle unique et d’illusoires « best practices ». Il ne s’agit pas de déployer une solution prêt-à-porter, mais d’apprendre par petits pas en enchaînant des expérimentations structurées.

La nécessaire recherche de sens

Commençons par donner du sens à la transformation. Comme le mentionnait Vincent Lenhardt dès le début des années 90, le mot sens peut représenter trois choses dans trois temps différents :

  • La signification : dans l’histoire que se raconte le collectif, quel est son lien avec le passé ? Comment la transformation à venir fait-elle sens par rapport à l’histoire d’une entreprise, à sa culture et à son identité ?
  • La direction : où cette transformation nous amène-t-elle dans le futur ? Quelle stratégie déployer pour se re-synchroniser avec les turbulences de l’environnement ?
  • Le ressenti : que nous disent nos sens de la situation au présent ? Comment vivons-nous ce qui est en train de se passer ?

Les trois dimensions temporelles du sens

Comme nous l’avons évoqué, donner du sens est le rôle des dirigeants. Déléguer à un cabinet de conseils l’élaboration des réponses sur le sens revient à faillir à ce rôle de porteur de sens. Pour nourrir cette élaboration de la vision commune, il est conseillé de commencer « au présent », en travaillant sur le ressenti. Comment ? En étudiant les symptômes dysfonctionnels :

  • Quelles sont les difficultés que l’entreprise rencontre actuellement pour réaliser sa mission ? Nous parlons ici des manifestations externes factuelles des difficultés de performance. Il s’agit des « incapacités » de l’entreprise : être compétitif, anticiper, voir ce qui se fait ailleurs, écouter ses clients, etc.
  • Quelles sont les plaintes exprimées par les membres de l’entreprise ? Expression du ressenti intangible des personnes et symptômes de désalignement. Nous évoquons ici les « dissonances » de l’entreprise : sentiment d’infantilisation, désengagement, cassure entre le management et les équipes, manque de priorisation, etc.

Il est à noter que l’expression des ressentis prime sur les évaluations objectives d’incapacités à faire. Peut-on « faire juste » quand les dissonances résonnent si fortement ? Comment se soucier du tout quand la partie souffre ? Il y a urgence de prendre en compte le désarroi des individus.

Une fois ce bilan effectué, l’on dispose d’un ensemble d’opportunités d’actions pour augmenter l’agilité de l’entreprise en travaillant sur ses problèmes spécifiques. La transformation agile se définit alors par les expérimentations à mener pour passer de l’incapacité à la performance et de la dissonance à l’harmonie.

Cette première phase permet d’élaborer une vision commune portée par le sens dans ses trois dimensions : signifiante par rapport au passé, cohérente avec les ressentis du présent et dotée d’une direction stratégique pour le futur. La concrétisation de cette vision s’accompagne d’un changement observable du top management, donnant ainsi l’exemple des nouveaux comportements à adopter. Ensuite, un travail de priorisation et d’évaluation d’impacts aboutit au choix des premières expérimentations à mener.

Enfin, il est indispensable de prévoir d’installer des processus de régulation au travers de boucles de feedback régulières et fréquentes le rythme cardiaque des processus agiles. Cette transformation n’aura pas de fin. Il ne s’agit pas d’un programme, mais d’une compétence de changement permanent qui va être développée et soutenue. L’entreprise entretient l’agilité de son mouvement…