La crise a amené les entreprises à repousser leurs limites et à réinventer leurs façons de fonctionner en seulement quelques jours. Mais cette nouvelle organisation est-elle vraiment faite pour durer ? Quels seront les nouveaux modèles de travail de demain, et dans les prochaines décennies ?

Les enquêtes prospectives portent généralement sur le moyen terme et recueillent les opinions de spécialistes d’un domaine sur des périodes courtes. Selon l’expression consacrée, ce sont des instantanés d’un moment qui servent à se projeter dans un avenir proche pour en dessiner les contours sur un sujet en particulier. La genèse et la portée de l’enquête dont il sera question dans cet article sont différentes et méritent une description détaillée de ses objectifs et de son déroulement.

Menée pour le compte de Citrix par le cabinet de conseil Oxford Analytica et l’agence Man Bites Dog, l’enquête (Work 2035 How people and technology will pioneer new ways of working) a été réalisée en collaboration avec un conseil consultatif constitué de représentants du monde universitaire, de think tanks et de conseils multinationaux ainsi que de grands spécialistes de l’avenir du travail.

Une enquête au long cours

Elle s’est déroulée en deux phases : avant la crise du Covid-19, pendant et après. L’étude préliminaire a permis de délimiter les contours du sujet. Elle s’est penchée sur les visions alternatives de l’avenir du travail en 2035 et sur l’évolution de la relation entre l’humain et la technologie. Au cours de la seconde phase, des enquêtes d’opinion indépendantes ont été conduites auprès de dirigeants et de collaborateurs afin d’explorer ces visions.

Pour les besoins de cette enquête au long cours, en 2019 et en 2020, le cabinet d’étude Coleman Parkes s’est entretenu avec plus de 1 500 dirigeants et collaborateurs de grandes entreprises établies et d’entreprises du mid-market aux États-Unis et en Europe (Royaume-Uni, Allemagne, France et Pays-Bas) des secteurs suivants : services financiers, santé et sciences de la vie, télécommunications, médias et technologie, services professionnels et vente/production.

Une vague supplémentaire d’enquêtes a été réalisée au mois de mai 2020 auprès de 300 dirigeants d’entreprise pour en savoir plus sur leur gestion de la pandémie et l’impact de cette dernière sur leur vision de l’avenir du travail. C’est dire si les opinions exprimées peuvent refléter aussi bien les aspirations profondes que les craintes des répondants. Ainsi donc, à quoi ressembleront les collaborateurs, les modèles de travail et l’environnement professionnel en 2035 ? Et comment la technologie les façonnera-t-elle ?

Du modèle vertical au modèle horizontal

L’agilité nécessaire à l’adaptation aux contraintes du confinement n’a fait qu’accélérer une tendance qui pointait déjà avant la crise. Mais cette fois les répondants en sont convaincus : il faudra plus de flexibilité pour mettre en place les nouveaux modèles rendus possibles par la technologie. Pour 67 % des répondants (dirigeants comme collaborateurs), le modèle verticalisé, rigide, procédural et hiérarchisé devra être remplacé par un modèle horizontal de type « plateforme », qui crée de la valeur en facilitant les échanges entre les groupes et les individus à l’aide de la technologie numérique.

La flexibilité se traduira aussi par la généralisation des collaborations ponctuelles de travailleurs majoritairement indépendants : 60 % des salariés pensent que les emplois à durée indéterminée deviendront rares d’ici 2035. De leur côté, les Français croient davantage que leurs voisins en une chute de l’emploi à durée indéterminée : 56 % pensent que ce type de contrat professionnel deviendra rare en 2035, contre 47 % en moyenne dans tous les pays.

Les dirigeants sont d’accord avec cette analyse, 39 % pensent qu’en 2035, la plupart des spécialistes aux compétences les plus recherchées seront des profils indépendants. Ils sont 80 % à penser que les plateformes technologiques offriront un accès immédiat à des travailleurs indépendants hautement spécialisés qui seront indispensables à l’évolution des entreprises et à leur adaptation aux changements rapides des besoins des consommateurs.

L’humain augmenté grâce à l’IA et aux robots

Selon plus de la moitié des personnes interrogées (57 %), l’IA interviendra dans la plupart des décisions professionnelles et pourrait même réduire le besoin en cadres dirigeants. Selon eux, l’IA aura un rôle prépondérant, car 75 % des répondants pensent que la plupart des entreprises se doteront d’un département central dédié à l’IA, qui supervisera tous les aspects de leur activité. Alors que 69 % estiment que les PDG travailleront en partenariat homme-machine avec un Chief of Artificial Intelligence, un Responsable de l’intelligence artificielle.

Cependant, ils estiment que les robots ne remplaceront pas les humains, mais qu’ils permettront de gagner en intelligence et en efficacité. Plus de trois quarts des personnes interrogées (77 %) estiment que dans 15 ans, l’intelligence artificielle accélérera de manière significative les processus décisionnels et la productivité des collaborateurs.

La technologie érigée en totem post-crise

Les attentes des répondants sur les apports de la technologie portent aussi bien sur la productivité que sur le bien-être au travail. Les attentes sont immenses et relèvent presque de la science-fiction. Selon le rapport, des anges gardiens IA (AI-ngels) exploiteront les données personnelles et professionnelles pour aider les collaborateurs à hiérarchiser leurs tâches et à organiser leur temps tout en veillant à leur bien-être mental et physique.

Ces super-assistants pourront, par exemple, planifier des réunions à l’heure jugée la plus efficace en se basant sur différents facteurs : niveau de glycémie des participants, évolution de l’humeur au fil de la journée… Et au cours de ces réunions, ils suivront le niveau de concentration et les attitudes des participants pour procéder aux ajustements nécessaires et obtenir des résultats optimaux.

Bienvenue dans le nouveau monde

Parmi les professionnels interrogés, plus de la moitié (51 %) déclarent que la technologie multipliera au moins par deux la productivité d’ici 2035. Ils estiment que les solutions suivantes se démocratiseront :

  • IA anticipant et réalisant des tâches en fonction des habitudes et des préférences,
  • IA envoyant des encouragements, apportant de la motivation aux collaborateurs,
  • IA faisant office d’assistant personnel,
  • IA surveillant le bien-être mental et physique des collaborateurs,
  • vêtements connectés permettant une interaction avec les systèmes,
  • lunettes de réalité augmentée,
  • neuro-technologies permettant de contrôler des appareils,
  • exosquelettes améliorant les tâches reposant sur les performances physiques.

Pour résumer les conclusions du rapport, nous laissons volontiers la parole à Karine Calvet, Directrice générale de Citrix France, qui résume assez bien le monde dans la « nouvelle normalité » : « La pandémie du Covid-19 a forcé les entreprises à se réinventer. Au cours des 15 prochaines années, elles devront faire face à plus de défis et de changements que jamais. Cette étude montre que “bouleversement rapide” rime aussi avec “opportunités”. Les entreprises qui en ont le plus conscience tirent déjà les enseignements de cette crise pour commencer à penser et planifier le “travail de demain”. Il ne s’agit donc pas de revenir au “monde d’avant”, mais d’adopter de nouveaux modèles de travail et de nouvelles ressources humaines pour se propulser dans celui d’après ».