La cyber bouleverse les règles jusque dans le monde très codifié des armés, poussant les militaires à affronter de nouvelles menaces sur un front numérique qui ne cesse de s’élargir. Qui ne serait déstabilisé face à de tels changements ? L’armée française se cherche, tandis que la Gendarmerie est en première ligne aux côtés de nos entreprises.
L’Armée française est confrontée à un nouveau défi de taille, celui de la guerre du cyber-espace. Celui-ci modifie la donne, jusqu’à présent l’ennemi était identifié, et l’affrontement était physique. Aujourd’hui, alors que la guerre se fait robotique et individuelle, avec la tendance forte constatée sur le salon Eurosatory d’une baisse régulière du coût unitaire des robots, les militaires doivent désormais changer leur stratégie comme leur langage pour décrire les nouvelles menaces, les cyber-menaces !
Comme le constate le général de brigade Olivier Bonnet de Paillerets, officier général commandant de la cyberdéfense de l'Etat-major des armées, « le digital menace l’ensemble des soldats, jusque chez eux ». Il constate également la multiplication des attaques sur les équilibres psychologiques et la stabilité émotionnelle, avec des messages négatifs et de peur qui se diffusent deux fois plus vite. « L’information diffusée devient un nouveau champ de bataille ».
Aider nos amis américains !
Pour affronter la guerre du cyber-espace, l’Armée française éprouve le besoin d’élargir son réseau, par la diplomatie, et de coopérer. Et elle se trouve confrontée à un incroyable défi pour une vieille dame habituée à des contraintes de résilience et de budgets qui poussent à conserver ses équipements et ses méthodes jusqu’à l’épuisement ou la rupture : le défi de l’immédiateté et de la réactivité. Il est désormais impératif que l’information arrive rapidement sur les dépositaires de la sécurité. L’intégration est une réponse à ce défi.
Elle doit également jouer la carte de l’innovation, autour d’initiatives visant à restructurer son écosystème, afin de mieux intégrer les processus et les hommes pour intégrer la cyber-défense dans un cycle court. C’est ainsi en réaction à une menace qui lui échappe que l’Armée française a créé une agence de l’innovation, qui réunit la recherche et les opérations, et qui fait sa révolution intégrant les industriels dans un mode de développement en continu dans le cadre de la défense.
Pour autant tout n’est pas si simple. Certes, adopter une stratégie c’est travailler avec des alliés, ça l’armée sait le faire. Même si l’on s’interroge lorsque, après avoir décrit un monde où les Etats-Unis sont la première cyber-cible de cyber-pirates venant de l’Est comme du Moyen ou de l’Extrême Orient – oubliant au passage de rappeler que les services américains sont le premier cyber-espion de la planète, espionnant jusqu’à ses alliés (!), et que la France continue de payer un lourd tribu de vies humaines au terrorisme -, le général de brigade Olivier Bonnet de Paillerets lance un étonnant « il faut aider nos amis américains ! ».
En revanche, travailler avec « des gens moins recommandables », sous-entendu les éditeurs de solutions de sécurité, là c’est beaucoup plus difficile et on a rapidement le sentiment que nos responsables militaires doivent se faire violence pour accepter ces gens là… Confrontée aux enjeux technologiques de la transformation numérique de l’Etat, l’Armée française entend s’appuyer sur des systèmes sur lesquels elle veut la souveraineté.
La Gendarmerie en première ligne
Faisant preuve de plus de pragmatisme, et confronté à la réalité du terrain avec les entreprises victimes de cyber-attaques – 550 millions d’euros dérobés constatés en 2017, en progression 27 % -, le colonel Eric Freyssinet, à la tête de la ‘mission numérique’ de la Gendarmerie nationale, préfère évoquer le « tissus riche d’innovateurs en France ». Il ne recherche pas forcément l’innovation forte, mais plutôt de modifier la relation avec l’usager. Et il porte un intérêt à la proximité avec les développeurs. « La cyber impose d’aller beaucoup plus vite, de trouver des solutions pour avoir une réponse policière, de remonter les témoignages pour comprendre et répondre à la menace. Nous éprouvons la nécessité d’un réseau pour remonter les infos sur les incidents et répondre jusqu’aux PME ». En cela la Gendarmerie rejoint l’ANSSI.
Reste que tout projet de défense supporté par l’Armée française doit respecter un certains nombre d’usages et de pratiques, qui parfois se confrontent à celles de nos entreprises et surtout de nos startups. « Les contraintes de résilience des armées sont plus fortes que pour les entreprises et les administrations. Nous devons disposer de la capacité de se reposer sur nos propres réseaux même dégradés. Il faut toujours être capable de retomber sur ses pattes, avec la capacité à déployer rapidement des communications ».
Notons que pour rester « un des piliers majeur de réponse de l’Etat », l’armée française doit se confronter à un autre défi majeur : le manque de talents. Elle recherche en particulier des personnes ayant des compétences sur l’IA (Intelligence Artificielle), sur l’analyse de la donnée, et des data-scientists. Et elle appelle à « la réorientation du système de formation ». Elle a a minima cela en commun avec nos entreprises...