Dans leur dernier rapport prospectif, les experts de BeyondTrust anticipent des mutations profondes de la cybersécurité à l’ère de l’IA agentique, de la géopolitique des données et de l’informatique post-silicium. Au-delà des effets de mode, ces prévisions dessinent les lignes de faille sur lesquelles les RSSI devront bâtir leurs défenses. Décryptage des signaux faibles et des tendances structurantes.
Les prévisions évoquées dans cet article de fond sont extraites du rapport annuel de BeyondTrust, publié fin octobre 2025 sous le titre Top Cybersecurity Trend Predictions for 2026+. Élaboré par Morey J. Haber (Chief Security Advisor), Christopher Hills (Chief Security Strategist) et James Maude (Field CTO), ce document présente une sélection de tendances destinées à éclairer les professionnels de la cybersécurité sur les évolutions techniques, réglementaires et géopolitiques à moyen terme.
Le rapport met notamment en lumière la généralisation de l’IA agentique, la dépréciation des VPN classiques, l’apparition de « taxes numériques », la fragmentation des usages IA, l’émergence de l’informatique biologique et l’évolution des risques dans les chaînes d’approvisionnement. Il s’appuie sur une synthèse d’observations terrain, de signaux faibles technologiques et de consultations avec des partenaires industriels.
Disparition du VPN, accusé de vulnérabilités
La disparition annoncée des VPN traditionnels n’est plus une hypothèse, mais une tendance consolidée. Selon BeyondTrust, ces dispositifs, longtemps considérés comme des piliers de l’accès distant, sont désormais perçus comme des vecteurs de vulnérabilité. L’émergence de modèles d’accès conditionnel, fondés sur l’identité et le contexte d’usage, accélère la transition vers une cybersécurité post-périmétrique. Le cadre Zero Trust, initialement promu par les acteurs du cloud, s’impose désormais comme un standard opérationnel, intégrant des mécanismes d’authentification adaptative et de segmentation dynamique. Cette évolution redéfinit le périmètre de sécurité, dans lequel l’utilisateur, ses droits et ses comportements deviennent les nouveaux objets de la vigilance.
Parallèlement, la biométrie avancée et l’authentification continue via des dispositifs portables remplacent les mots de passe statiques, ouvrant la voie à une expérience d’accès fluide et plus résistante aux attaques par hameçonnage. Cette bascule suppose toutefois une refonte profonde des politiques d’identité, souvent éclatées entre services internes, partenaires et prestataires. La « dette identitaire », c’est-à-dire l’accumulation incontrôlée de comptes et de privilèges, devient un risque stratégique. Sa résorption impose une gouvernance robuste des identités, qui ne saurait se limiter à une approche technique ou réglementaire.
Agentification, IA « vegan » et explosion de la surface d’attaque
Parallèlement, la généralisation de l’IA agentique transforme la surface d’attaque des entreprises. Dans les mois à venir, presque tous les objets connectés intégreront des fonctions agentiques, assistants, copilotes, interfaces intelligentes, sans nécessairement bénéficier d’une surveillance adéquate. BeyondTrust alerte sur les vulnérabilités structurelles créées par ces intégrations faillibles, souvent sans chiffrement suffisant, ni auditabilité native. Les violations alimentées par des agents IA mal maîtrisés ne relèveront plus de la science-fiction. L’enjeu n’est pas uniquement technique, il implique une nouvelle discipline d’architecture et d’orchestration des agents, intégrée dès la conception des services numériques.
À l’opposé de cette accélération technologique, un mouvement de résistance se dessine. Bizarrement et improprement baptisé « IA vegan » par les analystes (sans doute de la même souche culturelle que ceux qui ont inventé l’expression « vibe coding »), il désigne une frange croissante d’utilisateurs et d’organisations refusant d’utiliser l’intelligence artificielle pour des raisons éthiques, écologiques ou de souveraineté. Cette fronde obligera les fournisseurs à proposer des modes dégradés ou désactivables, à documenter les usages d’IA embarqués dans leurs produits, et à renforcer la transparence algorithmique. Pour les DSI, cette double tension, hyperautomatisation d’un côté, désactivation revendiquée de l’autre, constituera un défi de gouvernance inédit, au cœur de la promesse de confiance numérique.
Géopolitique de la donnée et taxation des flux numériques
La souveraineté numérique ne se limite plus à la localisation des données ou à la certification des infrastructures. BeyondTrust évoque l’émergence de « taxes numériques », des formes de taxation ou de restriction des flux transfrontaliers, qui redéfinissent les rapports de force entre États, plateformes et utilisateurs. Ces barrières virtuelles répondent à une logique d’autonomie stratégique, mais génèrent également des frictions réglementaires, des incertitudes contractuelles et des coûts de conformité croissants pour les entreprises globalisées. Le marché de la cybersécurité devra intégrer ces dynamiques dans ses modèles de risque, en intégrant les logiques de territorialisation et de fragmentation réglementaire.
La mise en œuvre du Data Act, les effets du Cloud Act américain, la multiplication des accords bilatéraux sur les données ou encore les normes de cybersécurité imposées dans certains appels d’offres publics participent de cette recomposition. Au-delà de la protection, les flux de données deviennent des leviers politiques, voire géoéconomiques. Dans ce contexte, les solutions de contrôle d’origine, de traçabilité cryptographique et de gouvernance contextuelle des données prennent une dimension stratégique. Les directions de la cybersécurité ne peuvent plus ignorer le rôle des juristes, des acheteurs et des responsables géopolitiques dans la sécurisation des opérations numériques.
Prévisions à long terme : rupture cognitive et extension du cyber-physique
Le rapport de BeyondTrust se distingue par ses incursions dans des horizons plus lointains, où l’anticipation frôle parfois la spéculation. L’évocation d’ordinateurs biologiques, systèmes hybrides combinant neurones vivants et circuits imprimés, interroge autant sur le plan éthique que sur les implications sécuritaires. Si ces technologies demeurent expérimentales, elles posent déjà des questions sur la vérifiabilité, la supervision humaine et la définition même d’un système calculable. D’autres signaux faibles émergent, comme villes intelligentes autonomes, les chaînes d’approvisionnement renforcées par l’IA, les compagnons numériques à vocation émotionnelle… Autant de formes hybrides mêlant cyber et physique, données et perceptions, automatisation et portée psychologique.
Ces perspectives, loin d’être anodines, exigent une préparation structurelle. Les RSSI ne peuvent plus se contenter d’une lecture linéaire du risque. Ils doivent envisager des scénarios de rupture, modéliser des interdépendances systémiques, et co-construire avec les métiers une culture de résilience augmentée. La cybersécurité devient une grammaire d’anticipation, où la compréhension des trajectoires technologiques à long terme conditionne la solidité des choix à court terme. L’exercice de prospective n’est donc ni un luxe, ni un simple outil marketing, mais un levier d’action stratégique.
Cybersécurité, le dilemme des cinq prochaines années
Au fil des prédictions, un fil rouge émerge : la cybersécurité se trouve à la croisée des chemins entre augmentation technologique, fragmentation réglementaire et dispersion des usages. Les identités deviennent le socle opérationnel de toute stratégie défensive, mais leur gestion reste morcelée, sujette à des dettes techniques accumulées et à des silos organisationnels persistants. Le risque ne se joue plus uniquement dans les flux de données, mais dans les chaînes de confiance, les protocoles d’orchestration, et les arbitrages invisibles entre automatisation et contrôle humain.
Pour les entreprises, les administrations et les fournisseurs de services, l’enjeu est désormais de réconcilier innovation et robustesse, vitesse de déploiement et vérifiabilité, performance opérationnelle et exigence réglementaire. Le rapport de BeyondTrust ne prétend pas tout prédire, mais il offre une boussole. Celle d’un monde où l’identité devient le nouveau périmètre, où l’agent IA n’est plus un gadget mais une surface d’attaque, et où la souveraineté s’exprime autant dans les flux de données que dans la capacité à désactiver un algorithme. La cybersécurité, plus que jamais, est une affaire de discernement stratégique.























