La publication conjointe des critères de souveraineté cloud par l’ANSSI et le BSI marque une inflexion stratégique dans la construction d’une gouvernance numérique européenne. À la veille du sommet de Berlin, cet acte pose les jalons d’une doctrine franco-allemande harmonisée, qui dépasse la simple localisation pour intégrer la maîtrise des chaînes de décision, la robustesse contextuelle et l’autonomie opérationnelle des services cloud.

Le couple franco-allemand réactive sa fonction historique de locomotive, relançant la dynamique d’harmonisation et de standardisation après plusieurs années de stagnation institutionnelle. Cette déclaration ANSSI/BSI, dévoilée dans le sillage du sommet de Berlin, officialise un rapprochement qui ambitionne d’instituer un socle d’exigences partagées, aussi bien pour les opérateurs historiques que pour les nouveaux entrants du marché européen.

Les critères ANSSI/BSI s’appuient sur une analyse rigoureuse des dépendances techniques, des risques organisationnels et des menaces de droit extraterritorial. Ils couvrent la localisation stricte des données et du support, l’application exclusive du droit européen, l’absence d’accès non autorisé par des tiers extra-européens, ainsi que la capacité à garantir la continuité d’activité sans recourir à des acteurs ou des technologies hors Union européenne. Cette approche privilégie la robustesse des chaînes de confiance, la transparence opérationnelle et la possibilité d’audit réciproque, amorçant une convergence des pratiques de certification et des contrôles croisés entre les deux pays.

Vers une souveraineté graduée et vérifiable, au-delà du binaire

Ce référentiel, plus exigeant que les simples labels de « cloud de confiance », refuse le compromis sur l’autonomie stratégique. Il impose aux fournisseurs d’attester de la maîtrise effective de leur chaîne de valeur, en intégrant la résilience face aux injonctions de suspension ou de reprise de contrôle émanant de juridictions non européennes. Les critères privilégient la capacité d’action en contexte de crise, la réversibilité des services et l’indépendance des procédures d’escalade et de remédiation.

La déclaration ANSSI/BSI introduit une logique de progression, évitant la dichotomie « souverain/non souverain ». Les exigences sont pensées pour s’adapter à la criticité des données et des processus, autorisant plusieurs paliers de maturité : conformité juridique minimale, contrôle opérationnel renforcé, pleine autonomie stratégique. Ce cadre flexible ouvre la voie à une adaptation progressive, tant pour les marchés publics que privés, et prépare l’alignement futur avec les référentiels européens, sans rupture pour les industriels.

La mutualisation des matrices d’évaluation entre Paris et Berlin permet de calibrer les attentes selon les cas d’usage, tout en renforçant la pression sur les opérateurs pour élever leurs garanties de transparence, d’auditabilité et de résilience. Cette dynamique devrait inciter d’autres États membres à s’aligner sur le standard franco-allemand, facilitant la reconnaissance des certifications et la circulation des solutions souveraines au sein du marché unique.

Un alignement politique et industriel

L’acte commun ANSSI/BSI intervient à un moment clé, alors que la France et l’Allemagne s’efforcent d’accélérer la synchronisation de leurs politiques numériques et industrielles. Après des années de divergences qu’il s’agisse de la doctrine du « cloud de confiance », des modèles de certification ou des priorités d’investissement, la déclaration scelle une entente stratégique, en prévision d’une reconnaissance mutuelle des labels et d’un pilotage conjoint des futurs appels d’offres. Elle renforce la capacité d’influence des deux pays face aux géants extra-européens et réduit le risque de fragmentation des marchés ou des standards.

Le texte prévoit également la montée en puissance d’un dialogue technique structuré, associant industriels, intégrateurs et autorités de contrôle, afin de faciliter l’adaptation du référentiel commun aux mutations technologiques, notamment en matière d’intelligence artificielle, de cybersécurité proactive et de résilience des chaînes d’approvisionnement. Cette dynamique de coopération, soutenue par la mutualisation des expertises, prépare le terrain à une doctrine européenne unifiée, centrée sur l’intérêt collectif et la protection des actifs stratégiques.

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