Les applications basées sur l’IA ou générées par l’IA se multiplient dans tous les secteurs, leur développement s’accompagne de failles systémiques souvent méconnues. Fuites de données massives, comportements inattendus, dépendances mal sécurisées. Plusieurs incidents récents illustrent l’urgence de repenser la sécurité des applications pilotées par l’IA, depuis leur conception jusqu'à leur mise en production.
Le développement d’une application propulsée par l’IA fait intervenir une chaîne complexe de composants : collecte de données, entraînement de modèles, intégration à des systèmes existants, gestion des flux entrants et sortants, supervision des performances. À chaque étape apparaissent des vulnérabilités spécifiques, qui viennent s’ajouter aux failles classiques du développement logiciel.
Parmi les principales menaces identifiées par la communauté sécurité : l’empoisonnement de données d’entraînement (data poisoning), les attaques par injection de prompts, l’extraction de données mémorisées par le modèle (model inversion), ou encore les dérives de performance (model drift). À cela s’ajoutent les failles liées aux configurations par défaut de composants techniques (brokers, bases de données, API), dans un contexte où la rapidité de mise au marché prime souvent sur la rigueur d’audit.
Des incidents récents éclairants
Plusieurs cas récents illustrent ces risques. L’affaire des applications conversationnelles « AI girlfriend », avec plus de 400 000 utilisateurs exposés via un broker Kafka mal sécurisé, révèle à quel point la négligence des flux internes peut conduire à des fuites massives de contenus intimes. DeepSeek, plateforme conversationnelle chinoise, a laissé accessible une base de données ClickHouse contenant des millions de lignes de logs, de clés API et de conversations — exposant ainsi des vecteurs critiques de compromission. Dans un autre registre, une attaque exploitant une faille dans Salesloft/Drift a permis à un tiers d’exfiltrer des données de comptes Salesforce par propagation d’authentification OAuth.
Le risque s’étend également aux systèmes embarqués. Des études ont montré comment des données falsifiées envoyées à des systèmes médicaux pilotés par IA peuvent induire des comportements dangereux. Enfin, l’essor des assistants de développement intégrés dans les environnements de programmation introduit des menaces persistantes, comme l’a illustré le cas du plugin « Trae », suspecté de collecter des données sans consentement clair.
Structurer une réponse à la hauteur des enjeux
Ces incidents ne relèvent pas de l’exception : ils traduisent des faiblesses structurelles propres à une chaîne IA encore immature sur le plan de la sécurité. La complexité technique, l’effet de cascade entre composants, et la fragmentation des responsabilités (éditeur de modèle, intégrateur, opérateur) compliquent la prévention comme la remédiation. En outre, l’effet multiplicateur de l’IA — en volume, vitesse et surface d’exposition — transforme des failles bénignes en vulnérabilités systémiques.
Pour limiter les risques, plusieurs leviers doivent être activés : architecture par défense en profondeur (chiffrement des flux, authentification forte, cloisonnement des modules), contrôle strict des accès API et de la sortie des modèles, revue de sécurité des données d'entraînement, audit continu des comportements en production, et traçabilité des décisions automatisées. Il s’agit aussi de responsabiliser chaque acteur de la chaîne IA, avec une gouvernance explicite et des plans de réponse aux incidents adaptés aux spécificités de l’IA.
Vers une IA industrielle, sécurisée et conforme
Pour devenir un socle de confiance dans les systèmes critiques, l’IA devra intégrer des exigences de sécurité dès la conception, selon une logique de « Secure by Design » adaptée à ses spécificités. Cette évolution passe par des référentiels techniques, des certifications sectorielles (santé, finance, infrastructures), et des outils de supervision compatibles avec la complexité des chaînes IA.
En anticipant les vulnérabilités structurelles, les organisations pourront non seulement réduire leur exposition au risque, mais aussi garantir l’intégrité de leurs processus numériques. À la clé : une exploitation sécurisée des agents intelligents, un renforcement de la conformité réglementaire, et un levier de différenciation durable pour les acteurs qui auront su industrialiser l’IA dans un cadre maîtrisé.