L’indisponibilité des services en ligne de La Poste et de La Banque Postale, attribuée à une cyberattaque de type DDoS, ainsi que les perturbations sur les plateformes de la Caisse d’Épargne et de la Banque Populaire, offrent une fenêtre d’analyse sur les schémas des attaquants. En élargissant l’analyse à l’Europe, et, malgré le tropisme national, ces incidents posent des questions structurantes sur la place de l’Europe comme champ de bataille cyber. Le rapport 2025 de l’ENISA apporte de réponses.

Ce lundi 22 décembre, les services web du groupe La Poste et de La Banque Postale ont été rendus largement inaccessibles par une attaque informatique par déni de service distribué (DDoS), perturbant non seulement l’accès client aux comptes bancaires en ligne mais aussi les services postaux numériques à un moment de forte affluence logistique en raison de la période de Noël.

D’après les informations disponibles, les pertes d’accès affectent aussi des services comme le suivi de colis Colissimo et le coffre-fort numérique Digiposte, alors que les flux de paiement restent opérationnels du fait d’architectures techniques séparées. Sur le même créneau, les applications et les sites de la Caisse d’Épargne et de la Banque Populaire, filiales du groupe BPCE, ont connu des ralentissements et des « dysfonctionnements » sans que ces derniers ne soient officiellement qualifiés de cyberattaque à ce stade.

Fonctions régaliennes et infras essentielles sous le feu

Au-delà de l’impact immédiat en France, ces incidents posent des questions structurantes sur la place de l’Europe du point de vue des attaquants. D’après le rapport « ENISA Threat Landscape 2025 », l’Europe n’est plus simplement une mosaïque de cas nationaux. Elle apparaît comme un espace cohérent du point de vue des attaquants, ciblé selon une logique commune et soumis à des pressions cyber qui engagent directement la continuité des services essentiels, la stabilité démocratique et la confiance sociétale. À travers les données consolidées par l’Agence européenne pour la cybersécurité, l’enjeu n’est plus seulement de répondre à des incidents, mais d’assumer une réalité stratégique : la cybersécurité européenne est devenue un sujet de souveraineté collective.

Selon l’étude, l’administration publique concentre 38,2 % des incidents recensés dans l’Union européenne, devant les transports, la finance et les infrastructures et services numériques. Le document souligne notamment la prévalence de campagnes par déni de service distribué à faible impact mais à forte visibilité, tandis que le rançongiciel continue de frapper des collectivités locales et des structures publiques vulnérables. Ces chiffres rappellent que la cible prioritaire en Europe n’est pas uniquement économique. Elle touche d’abord la capacité des États à gouverner, à assurer la continuité de leurs services et à maintenir la confiance des citoyens.

L'Europe, un espace institutionnel sensible

Pour les acteurs malveillants, cette récurrence dessine une carte mentale claire sur l’Europe, considérée avant tout comme un espace institutionnel, politiquement sensible, où la perturbation des fonctions publiques, des services financiers ou des infrastructures de mobilité produit un effet médiatique immédiat et transnational. Dans cette lecture “du côté des attaquants”, l’Europe n’est pas une série d’environnements hétérogènes, elle apparaît comme un bloc d’interdépendances, où frapper un pays revient souvent à une perception européenne de l’impact plus large.

Les transports, notamment aérien, logistique et maritime, sont fortement exposés, tout comme les infrastructures numériques et les prestataires de services essentiels, dont l’attaque sert souvent de tremplin à des campagnes plus larges. L’étude d’ENISA ne décrit donc pas seulement des secteurs techniques fragilisés. Elle met en lumière une Europe dont les services publics, la mobilité, la chaîne de valeur industrielle et les plateformes numériques sont reliés par des dépendances critiques que les attaquants visent.

Hacktivisme massif et opérations étatiques : une conflictualité hybride

Les données d’ENISA soulignent que près de 80 % des incidents analysés relèvent d’objectifs idéologiques ou politiques, tandis que des groupes associés à des États, tels qu’APT28, APT29 ou Sandworm, poursuivent des opérations de long terme contre les administrations, les télécommunications ou les structures de défense. Cette combinaison façonne une perception particulière : l’Europe est vue comme un espace de confrontation politique, diplomatique et informationnelle, où la cybersécurité n’est pas seulement un enjeu technique mais un levier d’influence.

Dans ce cadre, les attaques contre La Poste, La Banque Postale ou des banques françaises ne sont pas des anomalies locales. Elles s’inscrivent dans une logique où chaque perturbation visible peut alimenter un récit : celui d’une Europe vulnérable, saturable, mise sous tension, et dont la réaction collective fait elle-même partie du test. Même lorsque l’impact réel reste limité, l’objectif recherché réside souvent dans l’exposition médiatique, la démonstration de capacité et l’alimentation d’un climat d’incertitude.

Une Europe « ouverte », mais techniquement robuste

Les infrastructures européennes montrent une résilience certaine : dans le cas français, si les interfaces utilisateurs ont été perturbées, les systèmes transactionnels et les rails de paiement sont restés fonctionnels. Ce contraste nourrit pourtant une perception ambivalente chez les attaquants. L’Europe apparaît à la fois techniquement solide sur ses fonctions critiques et exposée dans ses espaces de relation avec les citoyens, comme les portails, les services numériques, les plateformes d’accès. Autrement dit, les attaquants la perçoivent ouverte, non parce qu’elle serait dépourvue de protection, mais parce que sa dépendance au numérique offre de multiples points de pression symbolique.

Le rapport de l’ENISA montre enfin que le recours massif au hameçonnage (près de 60 % des vecteurs initiaux d’intrusion) et aux campagnes automatisées traduit une autre conviction des attaquants : l’Europe est un terrain propice à l’exploitation des comportements humains, des dépendances organisationnelles et des dynamiques sociopolitiques, au moins autant qu’à l’exploitation brute de vulnérabilités techniques.

En définitive, ce que les attaquants testent aujourd’hui n’est pas seulement la robustesse technique des infrastructures européennes, mais la capacité de l’Europe à rester un espace stable, confiant et politiquement cohérent dans un environnement où chaque perturbation est aussi une mise à l’épreuve narrative.

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