Le Chaos Computer Club, l’un des plus anciens et des plus crédibles collectifs européens dédiés à la sécurité et aux libertés numériques, a officiellement annoncé l’instauration d’un Digital Independence Day. L’initiative, portée sur scène par l’écrivain et artiste Marc-Uwe Kling, ambitionne d’installer un rendez-vous régulier pour réduire la dépendance structurelle aux grandes plateformes mondiales et encourager le recours à des alternatives ouvertes et européennes.

Fondé en 1981, le Chaos Computer Club s’est imposé depuis plus de quarante ans comme un acteur majeur de la culture numérique européenne, à la fois critique, technique et citoyenne. Ses prises de position sur la surveillance de masse, les dérives du capitalisme de plateforme ou la concentration des infrastructures numériques ont contribué à structurer le débat public en Allemagne puis en Europe. C’est dans ce contexte qu’a été présentée publiquement l’idée d’une “Journée de l’indépendance numérique”, proposée comme un rituel mensuel, non conflictuel mais résolument politique au sens civique du terme, pour encourager des usages plus autonomes et moins captifs.

L’initiative repose sur un principe simple, explicité sur scène par Marc-Uwe Kling, auteur-compositeur-interprète, et écrivain allemand de science-fiction. Chaque premier dimanche du mois, les citoyens et organisations sont invités à franchir une étape concrète pour se détacher progressivement des écosystèmes dominants. Cela peut signifier migrer d’une messagerie propriétaire vers un service plus respectueux de la vie privée et de la confidentialité, quitter une plateforme sociale fermée pour rejoindre un espace fédéré, changer de moteur de recherche, revoir son navigateur ou, plus largement, réévaluer ses outils numériques quotidiens. La première édition a été annoncée pour le 4 janvier.

Un objectif civique avant d’être militant

Le discours présenté met l’accent sur un point désormais bien identifié par les chercheurs, les journalistes et les régulateurs européens : une part considérable de la vie numérique – échanges privés, information, culture, commerce – transite aujourd’hui par des plateformes concentrant données, attention et valeur économique. L’écosystème plus large du web ouvert en souffre, les liens sortants sont défavorisés, et les utilisateurs se retrouvent enfermés dans des environnements techniques où les alternatives existent, mais restent socialement difficiles à adopter.

Le Chaos Computer Club ne présente pas cette journée comme une confrontation radicale face aux acteurs américains du numérique. L’initiative n’est pas décrite comme une « résistance », mais comme une démarche progressive d’émancipation. Elle s’appuie sur trois leviers : créer un moment collectif identifié pour agir, rendre socialement valorisant le fait de changer d’outil et, surtout, installer une discussion régulière sur la dépendance technologique, et pas seulement un pic d’indignation ponctuelle.

L’intervention de Marc-Uwe Kling, empruntant à son registre habituel mêlant satire et critique lucide du pouvoir technologique, clarifie l’enjeu politique au sens large : la captation des usages numériques n’est pas uniquement commerciale, elle devient structurelle et peut rendre des sociétés vulnérables. L’idée d’un Digital Independence Day vise donc à rappeler que l’autonomie numérique n’est pas une posture théorique, mais un ensemble de décisions cumulées, prises par des millions d’utilisateurs, entreprises incluses.

Un mouvement dans une dynamique européenne plus large

L’appel du Chaos Computer Club arrive dans un moment où l’Europe multiplie les débats et les initiatives sur la souveraineté numérique, l’ouverture des plateformes, la protection des données et la diversification des fournisseurs technologiques. Régulation des grands intermédiaires, question de l’accès aux contenus, dépendance aux infrastructures étrangères, fragilité des alternatives locales : plusieurs chantiers convergent vers une même interrogation : comment éviter que l’économie numérique ne repose sur quelques acteurs captifs tout en conservant l’ouverture et la fluidité qui ont fait la force d’Internet ?

En donnant une date, un cadre et une méthode, le Digital Independence Day transforme un débat souvent théorique en pratique concrète. Pour les utilisateurs, il crée un repère temporel et collectif. Pour les organisations, il peut devenir un déclencheur utile pour réexaminer leurs outils et limiter leur exposition au verrouillage technologique.

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