Le ministère des Armées accélère sa transformation numérique avec le projet Alidade, une application mobile destinée à simplifier la gestion des déplacements professionnels de ses personnels. Ce dialogue croisé entre le Commissariat des Armées et Luminess met en lumière les exigences de souveraineté, de sécurité et d’innovation qui structurent la collaboration public privé dans la modernisation des services de l’État.
Le soutien aux personnels militaires et civils, un des enjeux de la modernisation du ministère, repose sur une stratégie numérique ambitieuse développée par le Commissariat des armées avec le concours de Luminess. Représentés ici par, respectivement, Ingrid, chargée d’études DCSCA SDDIEJ BMOB, et Fabrice, responsable de projet DCSCA SDMPN Bureau Cohérence des projets de fonction, pour le Commissariat des armées, et Frédérique Jaillon, directrice commerciale marché Services publics et Professions réglementées, la société de services informatiques est partenaire technologique de longue date du ministère. Cette stratégie a pour objectif de conjuguer l’innovation, la qualité de service et la maîtrise souveraine des données, en s’appuyant sur l’expertise de Luminess dans la conception d’applications métier sensibles.
À travers le projet Alidade, le Commissariat des Armées, représenté ici par Ingrid et Fabrice, illustre comment l’administration publique peut adopter les standards technologiques les plus exigeants tout en renforçant la sécurité et la conformité réglementaire. Ce dialogue met en perspective les choix structurants opérés par les parties prenantes, les arbitrages sur la cybersécurité et les impacts mesurables sur l’organisation et le quotidien des utilisateurs.
IT Social : Comment a débuté la collaboration entre le ministère des Armées et Luminess et comment cette relation a été maintenue près de vingt ans malgré l’obligation de mise en concurrence permanente ?Commissariat des armées : Luminess travaille avec le ministère depuis vingt ans, toujours dans le cadre rigoureux de la commande publique avec des appels d’offres successifs. À chaque remise en concurrence, leur proposition a été jugée meilleure sur les volets technique, sécuritaire et financier. Il ne s’agit donc pas d’un partenariat reconduit par habitude, mais d’une sélection objective du mieux-disant. Dès les premiers contrats, nous avons exigé que les productions ne reposent sur aucune licence susceptible de créer une dépendance ou d’empêcher une réversibilité totale.
Frédérique Jaillon : Nous sommes habitués aux exigences du secteur public. Le premier marché obtenu remonte à 2003 avec Tacite. Depuis, nous avons répondu à chaque appel d’offres, sans garantie de continuité. Notre capacité à satisfaire les exigences techniques, économiques et sécuritaires explique cette durée.
IT Social : Avant d’aborder la souveraineté et la cybersécurité, pouvez-vous présenter Alidade et expliquer en quoi ce projet s’insère dans les missions du Commissariat des armées et dans la transformation numérique des services aux personnels ?
Commissariat des armées : Alidade est l’application de mobilité professionnelle qui permet aux militaires et aux agents civils de gérer leurs déplacements sans avance de frais et avec un parcours moderne, fluide et sécurisé. Elle intègre la réservation hôtelière, la restauration, certains services en régie et des fonctionnalités associées au déplacement.
Pour situer Alidade, il faut rappeler nos missions. Le Commissariat des armées assure le soutien multiservices des sites militaires en métropole et outre-mer et en opération extérieure. Il gère la logistique complète de ce soutien, comme l’habillement équipement militaire ou le matériel de vie en campagne, de l’achat jusqu’à la délivrance aux unités. Il administre enfin le personnel, y compris les déplacements, la rémunération et les charges sociales. La transformation numérique répond à deux impératifs. Les armées évoluent dans un contexte géopolitique exigeant qui implique adaptation et réactivité. Les personnels, eux, comparent naturellement leurs services administratifs avec ceux du privé. Ils attendent donc des outils modernes, accessibles et sécurisés. Alidade répond à cette attente tout en respectant un niveau d’exigence très élevé.
Luminess : Lorsque nous avons commencé à concevoir Alidade en 2021, une application centralisant tous les besoins d’un déplacement professionnel dans un environnement souverain n’existait pas encore dans le secteur public. Le projet a été structurant car il a demandé d’allier l’ergonomie des outils de la vie quotidienne des utilisateurs avec les exigences de sécurité et d’évolutivité du ministère.
IT Social : Comment l’innovation technologique contribue-t-elle à améliorer les conditions de vie et de travail du personnel militaire et civil à travers un projet comme Alidade ?
Commissariat des armées : Le Plan Famille lancé en 2018 a été le moteur de cette transformation. L’objectif était que le missionné ne fasse plus l’avance de ses frais. Alidade rend cela possible dans un cadre intuitif et moderne. L’innovation numérique est un moyen concret d’améliorer la condition des personnels, mais aussi celle de leurs familles, car la mobilité impacte fortement leur quotidien. L’outil répond aussi à l’évolution des standards du privé, que nous ne pouvons pas ignorer.
Luminess : En 2021, centraliser tous les services liés à un déplacement professionnel dans un parcours mobile unique restait innovant. Depuis, le privé a vu apparaître des solutions comparables, mais le ministère a été pionnier.
IT Social : Quels critères technologiques et ergonomiques ont guidé la conception d’Alidade et le choix de vos partenaires ?
Commissariat des armées : Nous avons confronté deux propositions concurrentes en ateliers UX reposant sur des technologies différentes pour obtenir un parcours clair et accessible à tous. L’ergonomie devait être comparable à celle d’applications du quotidien, loin des clichés associés aux outils institutionnels. L’approche de Luminess, appuyée sur un studio UX dédié, a été retenue.
La cybersécurité repose quant à elle sur un corpus réglementaire strict et sur une application rigoureuse du Zero Trust. Avant toute ligne de code, nous avons exigé une architecture détaillée, un schéma d’hébergement et un plan d’exploitation de sécurité. Nous auditons l’organisation, les serveurs, les sauvegardes, l’applicatif et le code. Certains audits sont internes, d’autres confiés à des sociétés externes. Enfin, aucune application n’est mise en service sans validation de l’autorité d’homologation, qui peut refuser même si le marché est signé.
IT Social : Les certifications jouent-elles un rôle dans votre évaluation des prestataires ?
Commissariat des armées : Les certifications sont appréciées, mais ne suffisent jamais. Tout doit être vérifié.
Luminess : Nous détenons plusieurs certifications pertinentes pour nos clients des secteurs public et régulé. Cela inclut la certification d’hébergeur de données de santé et la conformité aux exigences des Archives nationales. Pour les projets publics, nous pouvons également opérer en environnement SecNumCloud grâce à notre partenariat avec Outscale, référencé par l’ANSSI.
IT Social : Comment concilier innovation, agilité et exigences de sécurité dans un projet d’État comme Alidade ?
Commissariat des armées : L’agilité est indispensable car les besoins évoluent rapidement. Les ateliers, les arbitrages et la gouvernance permettent de l’encadrer. La souplesse existe, mais dans des limites strictes.
Luminess : Nous développons en mode agile tout en respectant les délais, les budgets et les engagements du marché. Cela suppose une interaction constante avec les utilisateurs et une gouvernance structurée.
IT Social : Qu’avez-vous retenu de cette collaboration en termes de méthode et d’organisation ?
Luminess : Elle nous oblige à maintenir un très haut niveau d’exigence. Les projets menés pour le ministère servent de références solides dans d’autres secteurs publics ou privés. Les technologies utilisées restent classiques, mais leur exploitation dans un cadre souverain prouve qu’innovation et sécurité peuvent coexister sans compromis.
Commissariat des armées : Nous avons parfois été plus intrusifs qu’avec un client classique, en auditant non seulement les solutions, mais aussi certains aspects organisationnels. Cela répond à nos impératifs de sécurité.
IT Social : Observez-vous une évolution du marché de la souveraineté numérique ?
Luminess : Oui, nettement. Les ministères développent ou renforcent leurs infrastructures souveraines. Les initiatives interministérielles encouragent l’usage de solutions SecNumCloud. Les acteurs publics demandent de plus en plus à leurs prestataires d’opérer dans des environnements souverains. Le mouvement ne se limite plus à une intention, c’est une structuration réelle du marché. La souveraineté se décline aussi au travers des initiatives ministérielles en matière de logiciels, comme le langage open source et les produits interministériels qualifiés de communs numériques intégrables dans les projets des clients publics.
IT Social : Comment mesurez-vous l’impact d’Alidade et de quelles évolutions l’application a-t-elle bénéficié ?
Commissariat des armées : Nous organisons des comités d’utilisateurs tous les deux mois, diffusons des questionnaires de satisfaction et suivons les données d’usage. Les retours permettent d’ajuster les fonctionnalités. Depuis 2023, l’application a beaucoup évolué. Nous créons une version PC demandée par les utilisateurs, qui sera disponible début 2026. Nous avons aussi intégré le parc hôtelier en régie et les cercles de restauration, accessibles via QR code sans avance de frais. Des services annexes, comme la réservation d’espaces de travail, ont également été ajoutés.
IT Social : Alidade pourrait-elle devenir un outil mutualisé pour d’autres ministères ?
Commissariat des armées : L’application inspire car elle montre que ce type de modernisation est possible. Cependant, notre objectif est d’équiper les armées, qui représentent une volumétrie et une diversité de déplacements uniques dans l’État. Nous n’envisageons pas de mutualisation, même si rien ne l’interdit.
Luminess : L’application et sa propriété intellectuelle appartiennent intégralement au ministère des Armées.
IT Social : Comment voyez-vous l’évolution future des services numériques souverains dans le secteur public ?
Luminess : L’enjeu consiste à mettre en visibilité les solutions françaises, les soutenir financièrement lorsqu’elles sont émergentes et leur permettre de s’exécuter sur des infrastructures souveraines. Le passage au SecNumCloud est un signal fort. Pour les solutions d’intelligence artificielle, l’hébergement sur des infrastructures non souveraines pose un problème. L’État joue un rôle clé en fixant des exigences et en sélectionnant des acteurs français pour ses projets stratégiques.
Commissariat des armées : La coopération entre acteurs publics et privés reste indispensable. Le ministère demeure attentif à la souveraineté et continuera de l’être.
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