Une offre foisonnante... mais trompeuse
Les géants du cloud tels que AWS, Azure ou encore GCP se distinguent par des catalogues dépassant souvent les 200 services. Ce volume crée un effet de vitrine séduisante, qui suggère une capacité d’innovation permanente. Mais en pratique, seules quelques briques (machines virtuelles, stockage objet, bases de données, réseau, monitoring ou encore outils DevOps de base) sont réellement exploitées par les clients. Ce déséquilibre entre la richesse apparente de l’offre et l’usage réel alimente le phénomène de verrouillage : plus une entreprise intègre des services spécifiques, plus il devient complexe de s’en détacher.Cette logique, qui repose sur l’effet catalogue empêche nombre de décideurs de considérer sereinement des solutions souveraines, pourtant parfaitement capables de couvrir les cas d’usages les plus courants. Résultat : la migration de leur infrastructure vers le cloud est souvent différée, paralysée par l’ampleur perçue du changement à opérer.
L’épreuve du concret pour le cloud souverain
En mettant en avant des solutions hybrides, certaines offres revendiquent une souveraineté de façade, tout en reposant encore sur des technologies contrôlées par des entités non européennes. Or, délocaliser les données sur le territoire français ne suffit pas à garantir la gouvernance, la transparence du code, ni la capacité à auditer les briques critiques.Pour qu’une stratégie de souveraineté numérique soit réellement efficace, cette dernière doit s’appuyer sur trois piliers. Elle suppose d’abord que les données et les traitements soient localisés dans des juridictions capables d’offrir des garanties de protection adéquates. Elle exige également une gouvernance européenne, affranchie des lois extraterritoriales telles que le CLOUD Act. Enfin, elle implique une maîtrise technique avec un accès documenté et audité à l’infrastructure, une interopérabilité effective ainsi qu’une réversibilité assurée, sans contrainte.
Ce qui freine encore le changement
Plusieurs facteurs expliquent la lenteur du basculement vers des solutions souveraines. Certains relèvent de la perception, comme la crainte persistante d’un manque de performance ou de mise à l’échelle. D’autres sont plus opérationnels : difficulté à chiffrer le coût de la migration, dépendance aux architectures déjà existantes ou encore manque de visibilité sur les gains concrets. À cela s’ajoutent des blocages culturels. Les DSI sont souvent laissés seuls face à ces enjeux complexes, sans accompagnement méthodologique. Or, pour pallier la complexité présumée de la souveraineté, il est tout à fait possible d’adopter une approche graduelle et modulaire, qui permet de structurer la transformation.Pour une souveraineté utile, ancrée dans les usages
Il ne s’agit pas de répliquer le modèle à l’identique. Au lieu de viser un clone européen des hyperscalers, il est plus pertinent de proposer une offre capable de répondre aux besoins réels, en proposant un socle restreint de services solides, sécurisés, interopérables et durables. Une dizaine de briques techniques bien pensées valent mieux qu’une multitude de solutions fragmentées. Il est également crucial de fournir aux DSI des outils adaptés de portabilité, de migration et une documentation explicite. L’expérience utilisateur ne doit pas être négligée non plus : développeurs et intégrateurs attendent des environnements fonctionnels, prêts à l’emploi, et non de simples promesses.La souveraineté numérique ne peut se résumer à un label ou à la localisation physique d’un datacenter. Elle repose sur un effort continu fondé sur la transparence, la clarté et l’accompagnement sur le terrain. Ce chemin demande de la volonté, de l’exigence, et un partenariat de confiance entre fournisseurs, intégrateurs et clients. Reprendre la main sur ses données, c’est se réapproprier sa stratégie. Il ne suffit plus de débattre : il est désormais temps d’agir.
Par Yohan Parent, Architecte Avant-vente, NumSpot