Il ne suffit plus de proclamer l’interopérabilité, la transparence ou le respect du consentement. Si l’on veut bâtir une véritable souveraineté numérique de la formation, il faut aussi en maîtriser les moyens d’exécution. Or la réalité immersive, comme d’autres champs critiques, souffre d’un oubli structurel : l’absence d’une filière souveraine de traitement des données éducatives.
Le projet Video4XR porté par le Cnam et Prometheus-X a tout d’un exemple vertueux : architecture ouverte, gouvernance éthique, conformité aux standards GAIA-X et IDSA. Video4XR est un dispositif d’analyse pédagogique fondé sur la réalité virtuelle. Son utilité est de permettre aux enseignants et aux apprenants de rejouer, annoter et analyser des sessions immersives techniques, notamment dans les filières à risque (chimie, industrie, santé). Chaque geste est capté, contextualisé et transformé en donnée pédagogique. Ce projet repose sur une architecture interopérable, conforme aux standards européens de souveraineté numérique, et opérée via la plateforme VisionsTrust.
Il incarne ce que pourrait être une pédagogie immersive fondée sur l’analyse comportementale, la personnalisation de l’apprentissage, et la circulation maîtrisée des données. Mais derrière cette promesse, un paradoxe persiste. Car pour rendre ces données intelligibles, les chapitrer, les annoter, les restituer dans le parcours de l’apprenant, il faut une capacité de traitement que nous ne possédons pas.
La question n’est pas seulement celle des infrastructures physiques, mais de leur pilotabilité, de leur disponibilité, de leur affectation prioritaire. Où sont les centres de données conçus pour soutenir à l’échelle les usages intensifs de la réalité virtuelle éducative ? Où sont les nœuds de calcul capables d’absorber, en confiance, la volumétrie vidéo de cohortes entières d’apprenants en formation initiale, en reconversion ou en alternance ? Où est le plan de charge qui ferait de ces traitements une priorité publique ?
Car sans cette couche d’exécution, computationnelle, distribuée, mutualisée, les ambitions pédagogiques restent théoriques. La souveraineté bute sur l’absence de puissance. Et l’on en revient, comme trop souvent, à une dépendance aux hyperscalers pour orchestrer l’analyse, classer les traces, ou détecter les erreurs. C’est un contresens politique : une souveraineté qui sous-traite le traitement.
Le fait même de s’appuyer sur une structure comme Prometheus-X, aussi précieuse soit-elle, traduit une fragilité structurelle. Ce n’est pas tant un signe de maturité de l’écosystème souverain que le reflet d’un vide laissé par l’État et par les fournisseurs privés. Aucune infrastructure dédiée à la formation immersive, aucun cloud souverain n’a aujourd’hui la capacité, ni l’envie économique, de porter cette charge analytique à grande échelle. Prometheus-X devient le gardien d’un cadre de confiance… mais sans armée pour en exploiter le potentiel. Il fédère les intentions là où l’exécution manque. Et c’est bien là que réside l’impasse.
Il est temps de penser la formation immersive comme un « service critique », non plus seulement dans son contenu, mais dans ses conditions techniques de fonctionnement. Cela suppose des datacenters de proximité affectés aux usages éducatifs, des réseaux d’edge computing installés dans les campus ou tiers-lieux, une mutualisation nationale des ressources de calcul pédagogique. Cela suppose surtout un engagement clair des pouvoirs publics à financer, opérer et coordonner cette filière invisible, celle qui permet à l’intelligence humaine d’être augmentée par l’intelligence de la donnée, sans la délocaliser.
Une éducation souveraine ne se décrète pas : elle s’administre. Et cela commence par rendre visible l’infrastructure qui la rend possible. L’Union européenne a défini les règles du jeu. Il reste à construire le terrain.