Le nombre de centres de données connaît une accélération significative sous l’impulsion de la demande en calcul intensif, notamment liée à l’intelligence artificielle. L’analyse récente de Uptime Institute met en lumière un enjeu crucial : le recours exclusif à l’indicateur PUE (consommation totale sur consommation IT) ne suffit plus. Uptime et The Green Grid proposent un nouvel indicateur « travail rendu par kWh » (work‑per‑energy) appelé à structurer la prochaine décennie.
On connaissait le « nombre d’instructions traitées par cycle d’horloge » comme unité familière pour quantifier la puissance de calcul. Cette métrique rassurait, ancrant les progrès technologiques dans un cadre stable, où chaque évolution s’inscrivait dans la continuité des générations précédentes. L’industrie des centres de données, portée par la prolifération des usages numériques, de l’IA et du temps réel, se prépare désormais à basculer vers un nouveau référentiel. C’est la notion de « travail rendu par kWh » qui s’impose progressivement comme l’étalon de la performance énergétique à l’horizon 2030, selon l’Uptime Institute.
En effet, le secteur des centres de données connaît un développement sans précédent. L’essor des applications d’intelligence artificielle, du cloud, des mégadonnées, ainsi que l’externalisation croissante des systèmes informatiques des entreprises vers des infrastructures spécialisées accentuent la pression sur les infrastructures numériques. Les prévisions anticipent un doublement de la consommation électrique des centres de données d’ici 2030, alimenté notamment par les besoins croissants en calcul et en stockage.
Limites de l’indicateur PUE et nécessité d’une nouvelle métrique
Depuis 2008, l’efficacité des centres de données s’évalue en grande partie via le PUE (Power Usage Effectiveness) qui compare la consommation totale d’énergie d’un centre à celle de ses seuls composants IT. Cet indicateur se concentre sur l’efficacité des infrastructures de refroidissement, de l’alimentation et des bâtiments mais ignore l’efficacité réelle du calcul effectué par les serveurs. Au fil des années, ce biais a limité la visibilité sur la véritable performance énergétique des infrastructures, en particulier alors que l’intensité des calculs par serveur augmente fortement avec les nouvelles générations de CPU, GPU et accélérateurs.
Uptime Institute et The Green Grid proposent un indicateur calculant la « capacité de travail » des serveurs et des équipements de stockage (CPU, GPU, accélérateurs, stockage actif) puis la rapporte à l’énergie consommée en un an. Cette métrique intègre la comptabilisation des cœurs physiques, des capacités de calcul des accélérateurs, des volumes de stockage, ainsi que l’utilisation effective des ressources, ce qui permet de mesurer les travaux informatiques réellement effectués par kWh consommé. L’approche évite d’avoir à mesurer ou à suivre chaque application, tout en tenant compte des progrès technologiques et des efficiences liées aux infrastructures modernes.
Les défis pour l’adoption et la mise en œuvre de la nouvelle métrique
L’adoption de cette métrique nécessite des inventaires complets des équipements IT (CPU, GPU, stockage), des mesures fiables de consommation électrique serveur par serveur, et des outils d’inventaire ou de gestion des infrastructures (DCIM, outils de gestion de parc). Or aujourd’hui, 60 % des opérateurs ne disposent pas de ces données structurées. De plus, la diversité des types de charge, calcul CPU standard, inférence ou entraînement IA, stockage intensif, pose la question d’un indicateur unique ou d’indicateurs différenciés selon la nature du travail. Enfin, la mise en place d’un tel indicateur imposera aux exploitants IT et aux exploitants de l’infrastructure de collaborer étroitement, ce qui n’est pas toujours le cas, en particulier dans les environnements de colocation ou multitenant.
L’adoption effective d’un indicateur « travail rendu par unité d’énergie consommée » pourrait refocaliser les investissements vers l’efficacité des ressources IT plutôt que vers l’efficacité des bâtiments seuls. Les centres nouveaux ou rénovés pourraient privilégier des architectures serveurs modernes (CPU/GPU/accélérateurs), un usage optimisé des ressources et un bon niveau d’occupation des racks. Par conséquence, la croissance en nombre et en capacité des centres de données pourrait s’accompagner d’un usage énergétique plus équilibré, limitant l’impact sur les réseaux électriques et l’empreinte carbone.
Risques et contraintes dans un contexte d’expansion rapide
La demande d’électricité des centres de données pourrait atteindre des niveaux difficilement soutenables sans évolution des réseaux électriques. Certaines estimations évoquent jusqu’à 130 GW de demande globale pour 2028, avec une croissance régulière du besoin en réseaux, en production décarbonée et en stockage. L’activité croissante des centres de données suscite des inquiétudes sur l’impact environnemental et la disponibilité de l’énergie, particulièrement dans les zones soumises à tension de réseau, ce qui peut freiner les nouveaux projets ou ralentir l’expansion.
Le secteur des centres de données entre dans une phase charnière. La généralisation de la métrique « travail rendu par unité d’énergie consommée » promise par Uptime Institute ouvre une perspective plus précise pour aligner la prolifération des infrastructures avec les impératifs d’efficacité énergétique. Pour les opérateurs, cela impose de revoir les pratiques de mesure, d’inventaire et de reporting IT. Pour les responsables informatiques et les décideurs métiers, cela annonce une nouvelle ère où les choix d’architecture et d’investissement devront tenir compte non seulement du volume de stockage et de calcul, mais de la performance réelle par watt‑heure consommé.























