L’écosystème européen des semiconducteurs connaît une phase d’accélération, portée par le lancement du centre français ASTEERICS et la sélection de plusieurs lignes pilotes dans le cadre de l’European Chips Act. Sous l’impulsion directe de la Commission européenne, les initiatives se multiplient pour favoriser l’innovation, réduire la dépendance technologique et préparer la réindustrialisation numérique du continent. La France, avec ASTEERICS, s’affirme comme un pôle de compétences de premier plan dans une dynamique paneuropéenne.

La souveraineté technologique figure désormais parmi les priorités affichées de l’Union européenne. Longtemps dépendante de fournisseurs extra-européens pour l’approvisionnement en semiconducteurs, l’Europe a décidé d’inverser la tendance en déployant une stratégie industrielle ambitieuse, dont l’European Chips Act est la pierre angulaire. L’entrée en vigueur du règlement a enclenché une mobilisation coordonnée des moyens publics et privés, structurée autour de centres de compétences nationaux, d’infrastructures de production mutualisées et de dispositifs d’incitation à l’innovation. Cette dynamique bénéficie d’un alignement inédit entre institutions européennes, industriels et écosystèmes nationaux, créant un cadre favorable à la relocalisation des capacités critiques de microélectronique.

La création d’ASTEERICS, officiellement lancée à Paris, marque une étape déterminante pour la filière microélectronique française. Ce centre de compétences ambitionne de fédérer l’ensemble des acteurs nationaux, entreprises, laboratoires, start-up, investisseurs, et de proposer un accès partagé à des technologies avancées telles que le FD‑SOI, le nitrure de gallium (GaN) ou le carbure de silicium (SiC). ASTEERICS s’intègre dans le réseau européen des “Chips Competence Centres”, qui compte 27 structures réparties sur le continent. Ce dispositif vise à faciliter l’accès aux ressources, mutualiser les outils de conception et accompagner le passage de la recherche à l’industrialisation, un enjeu clé pour les PME et start-up innovantes.

Les lignes pilotes européennes : du prototype à l’industrialisation

Ce centre propose un accompagnement complet, de la maturation technologique à la mise sur le marché, tout en mettant à disposition des moyens mutualisés souvent inaccessibles aux petits acteurs. Le modèle ASTEERICS se veut également ouvert aux coopérations européennes, avec une articulation forte avec les lignes pilotes financées par la Commission et une logique de maillage avec les principaux pôles industriels européens. Cette configuration permet d’espérer une montée en gamme rapide de la filière française, et une diffusion des savoir-faire vers l’ensemble de la chaîne de valeur, du design à la production en passant par la formation et la propriété intellectuelle.

L’un des piliers majeurs de l’European Chips Act réside dans la création de lignes pilotes à l’échelle continentale, destinées à accélérer le transfert de technologies avancées vers la production industrielle. Les premières lignes sélectionnées concernent des technologies de rupture : le FD‑SOI en 7 nm, le “grand gap” (GaN, SiC), l’intégration hétérogène et les procédés en nœud inférieur à 2 nm. Le CEA‑Leti en France se voit confier la ligne FD‑SOI, tandis que l’organisme belge imec pilote le projet 2 nm. Cette répartition illustre la volonté de construire une chaîne européenne complémentaire, chaque centre apportant ses expertises propres, ses moyens industriels et ses réseaux de partenaires.

L’objectif poursuivi est double : accélérer la phase de validation industrielle et réduire le temps d’accès au marché pour les innovations issues de la recherche. Pour les industriels, ces plateformes offrent la possibilité de tester, valider et industrialiser des procédés de pointe sans quitter le sol européen, réduisant ainsi les risques liés à la dépendance extérieure et à la fragmentation technologique. Les lignes pilotes agissent ainsi comme un catalyseur, facilitant le passage à l’échelle et structurant une offre compétitive face aux acteurs américains et asiatiques.

Structuration d’un écosystème paneuropéen des semiconducteurs

L’ensemble des dispositifs déployés s’inscrit dans une logique de chaîne de valeur intégrée, allant de la recherche fondamentale à la fabrication de composants avancés. Le réseau de centres de compétences, les plateformes de conception partagées et les lignes pilotes dessinent les contours d’un écosystème européen cohérent, capable de répondre aux besoins des marchés stratégiques : industrie, automobile, défense, cloud, intelligence artificielle. Pour les PME, cet environnement facilite l’accès à des moyens industriels mutualisés et à des expertises de haut niveau, tout en réduisant les barrières à l’innovation et à la production locale.

Cette organisation est aussi une réponse aux fractures historiques de la filière européenne, longtemps marquée par la dispersion des initiatives et la faiblesse des investissements mutualisés. La stratégie actuelle mise sur la coordination et l’agilité, en favorisant l’émergence de champions nationaux connectés à une dynamique continentale, avec des ressources mutualisées et une gouvernance partagée entre institutions, industriels et académiques.

Vers une autonomie stratégique et industrielle renforcée

Au‑delà de l’innovation, la stratégie européenne vise explicitement à réduire la vulnérabilité de l’industrie face aux ruptures d’approvisionnement mondiales. La capacité à produire localement des semiconducteurs avancés devient un enjeu critique pour la sécurité économique, la résilience numérique et la compétitivité des entreprises. Les initiatives comme ASTEERICS s’inscrivent dans cette ambition de réindustrialisation, offrant aux industriels européens une alternative crédible à la dépendance vis‑à‑vis des fournisseurs asiatiques ou américains.

Pour les entreprises, les administrations et les fournisseurs de services, l’accès à une offre européenne structurée permet d’envisager des développements technologiques maîtrisés, tout en répondant aux exigences croissantes de conformité, de performance et de souveraineté. Cette évolution amorce une transformation profonde du paysage industriel, créant de nouvelles opportunités pour les acteurs du secteur, mais imposant également une exigence de montée en compétence et d’investissement soutenu sur le long terme.

La dynamique enclenchée autour de l’European Chips Act, illustrée par le lancement d’ASTEERICS et la sélection des lignes pilotes, matérialise la volonté de l’Europe de reprendre la main sur une filière stratégique. L’avenir de la microélectronique européenne dépendra de la capacité collective à maintenir cet élan, à renforcer les liens entre acteurs publics et privés, et à structurer une offre compétitive à l’échelle mondiale. Pour les industriels, la perspective d’un accès facilité à l’innovation, à la production locale et à des compétences de pointe offre un levier décisif pour affronter les défis de la décennie à venir.

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