L’entreprise Clearview AI, qui a conçu une base de données de plus de 3 milliards de photos d’utilisateurs en scrappant les réseaux sociaux, aurait permis à de riches et puissantes personnes et entités d’y accéder. Ces dernières auraient ensuite utilisé l'application de reconnaissance faciale pour espionner d’autres personnes. Pourtant, le PDG de Clearview AI, Hoan Ton-That, a récemment réaffirmé que l’application de reconnaissance faciale ne serait disponible qu’aux organismes d’application de la loi pour les aider dans leurs enquêtes. Selon le New York Times, l’outil de Clearview AI était librement utilisé par les riches investisseurs, les clients privés et les proches des dirigeants.
Le milliardaire John Catsimatidis, fondateur de John Grats, est cité parmi les utilisateurs. Il a réussi à identifier l’homme avec lequel sa fille sortait. Il aurait aussi utilisé l’application pour surveiller sa chaîne d’épiceries, selon sa propre déclaration au New York Times. Ce cas concorde parfaitement avec les rapports de BuzzFeed qui dévoilaient que des entreprises comme Macy’s et la NBA ont testé l’outil de reconnaissance faciale en utilisant des caméras de sécurité conçues par Clearview AI. Le PDG Hoan Ton-That n’a pas démenti cette information. Il a déclaré au New York Times que l’entreprise permettait aux investisseurs et aux partenaires stratégiques de tester l’application. Certains de ces investisseurs ont aussi confirmé les déclarations du dirigeant. C’est le cas d’Hal Lambert, fondateur du fonds négocié en bourse MAGA au Texas. Il montrait régulièrement l’outil à ses amis et à ses partenaires investisseurs. Même cas pour le fondateur de Kirenaga Partners, David Scalzo. Pour ce dernier, ce sont ses filles qui « jouaient » le plus souvent avec l’application. Le capital-risqueur Ashton Kutcher a aussi déclaré sur une vidéo YouTube avoir utilisé un outil étrangement similaire.
Dans tous les cas, toutes ces histoires montrent qu’il est facile pour les entreprises privées d’abuser des outils de reconnaissance faciale. Dans un passé récent, certaines ont déjà essayé de concevoir des outils d’apprentissage plus ou moins efficaces pour faciliter le processus d’embauche, dont certains ont présenté des biais raciaux ou de genre. Par ailleurs, cela montre également que les caméras de surveillance censées être destinées à prévenir les vols dans les magasins peuvent être utilisées pour signaler arbitrairement des personnes à travers la reconnaissance faciale.
Pour l’instant, l’application de Clearview AI essuie revers après revers depuis son adoption par les forces de l’ordre en début d’année. Au Canada, par exemple, les commissaires de la vie privée ont entamé une enquête sur l’entreprise. À New Jersey, le bureau du procureur a sommé la police de ne plus utiliser l’outil. De leur côté, les plateformes de réseaux sociaux comme Facebook, Google et Twitter ont envoyé des lettres de cessation et d’abstention à l’encontre de Clearview AI. Apple est même allée jusqu’à désactiver l’application sur iOS en mettant en avant la violation des règles de son programme de développement.
Néanmoins, le scrapping de données sur les réseaux sociaux n’est pas illégal en soi, même si cela n’empêche pas Clearview AI d’être en position précaire. En Illinois, l'entreprise est poursuivie pour violation de la loi sur la confidentialité biométrique. Cette même réglementation a déjà mené à la condamnation de Facebook à payer une amende de 550 millions de dollars. Cette dernière a aussi été poursuivie en Virginie pour violation de la loi sur les droits des personnes sur l’utilisation de leurs noms et images. De toute manière, l’utilisation même de l’application par les organismes d’application de la loi soulevait dès le début les suspicions, notamment à cause de l’inexistence de loi assez claire sur la réglementation de l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale aux États-Unis. Les citoyens craignent tout particulièrement les observations de masse à l’encontre des minorités et des cibles politiques. D’ailleurs, Clearview AI aurait permis l’utilisation de son application à Paul Nehlen, candidat au Congrès et suprémaciste blanc assumé. Pour l’instant, le PDG Hoan Ton-That brandit son droit à l’accès aux données en vertu du premier amendement de la Constitution des États-Unis, même si, manifestement, son entreprise est en violation des droits d’auteurs de milliards de personnes à qui il a volé les photos.
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