« What Silicon Valley Thinks Of Women ? ». Dans son article polémique, Nina Burleigh, journaliste du Newsweek, décrit la Silicon Valley comme un enfer pour les femmes, soumises aux hommes... tous obsédés sexuels !

Un article du Newswek, « What Silicon Valley Thinks Of Women ? » (lire ici), paru le 28 janvier dernier, fait beaucoup de bruit sur la Valley. Suivant le parcours de femmes qui ont rencontré beaucoup de difficultés pour créer leur start-up, dénonçant des VC qui ne financent pas les projets de femmes, et pointant trois affaires de harcellement sexuel, l'auteur, Nina Burleight, dresse un portrait sans concession d'un univers sexiste, où les femmes sont cantonnées à servir la libido de leurs collègues masculins.

Ces derniers en prennent très rapidement pour leur grade, comme en atteste le portrait des fondateurs de start-up : « Les noms légendaires de la Silicon Valley sont bien connus, et pour la plupart, les hommes derrière les noms ressemblent à cela : geek, en jeans et T-shirt, peut-être avec un chandail à capuchon, peut-être rasés, peut-être en échec scolaire, qui codent depuis le début de la puberté dans la cave de parents de la classe moyenne supérieure ».

Jusque là rien de neuf, le portrait est à l'image des stéréotypes du geek et/ou du programmeur. En revanche, il apparaît très rapidement, à lire l'article, que sur la Silicon Valley, TOUTES les femmes sont victimes de TOUS les hommes ! « Dans tous les coins dans la Silicon Valley, la misogynie se poursuit sans relâche. (…) La ligne de front, si ce n'est la tranchée de la guerre mondiale entre les sexes, est dans la Silicon Valley »...

Les VC dans la ligne de mire

Nina Burleigh pourfend en particulier les sociétés de capital risque. « Les grandes sociétés de capital risque de la Valley sont presque entièrement masculines. (…) Les VCs ne financent pas les femmes ». Et de citer une étude réalisée par Babson College, qui constate que seulement 2,7 % des 6.517 entreprises qui ont reçu des fonds de capital risque entre 2011 et 2013 avaient des femmes à leur tête.

L'écart de financement entre les entrepreneurs masculins et féminins serait également massif. Les VC financeraient habituellement les femmes au plus bas niveaux, soit sur la base de 100.000 dollars. Une étude Kauffman a révélé que la majorité (80 %) des femmes entrepreneurs n'ont pas obtenu de capital de risque, mais ont utilisé leurs économies personnelles comme leur source de financement complémentaire.

Le rapport Kauffman a également constaté que les start-up dirigées par des femmes produisent un rendement sur investissement 31 % plus élevé que les start-up dirigées par des hommes…

Un article à charge contre la gent masculine

Avant même de lire l'article, c'est l'image en couverture de Newsweek qui choque le lecteur. Une flèche, que l'on imagine être le pointeur d'une souris, soulève l'arrière de la jupe d'une femme (voir l'image). Avec une telle image, le texte qui accompagne le dessin, « Ce que la Silicon Valley pense des femmes », se fait ambigüe.

 

Plus d'ambigüité en revanche à la lecture de l'article. Celui-ci repose sur une réalité historique, qui se fait culturelle : le monde des technologies est masculin par ses origines. Si cela change avec le temps, l'évolution est lente et le mâle demeure dominant… dans les statistiques. Faut-il pour cela en faire un obsédé sexuel qui soulève les (mini) jupes des filles qui passent à sa portée ? Le raccourci a de quoi choquer.

A contre courant de notre vision de la Valley

J'ai la chance de faire partie d'un groupe de journalistes français et européens qui, depuis plusieurs années et plusieurs fois par an, part à la rencontre des start-up de la Silicon Valley. Si la présence majoritaire des hommes est une réalité incontestable, je n'ai pas rencontré le sexisme annoncé par l'article de Newsweek.

Au contraire, les femmes que l'on rencontre, tant chez les start-up que dans des sociétés qui ont dépassé ce stade, affichent une intégration voire une maturité proche de leurs collègues masculins. Quant à celles qui accèdent à un poste à responsabilité au sein d'organisations souvent aux niveaux hiérarchiques réduits, elle bénéficient d'un respect de la part de leurs équipes équivalent voire supérieur à celui dont bénéficient leurs homologues masculins.

Quant au code vestimentaire des femmes des start-up de la Valley, il est plus proche de celui du nerd décrit par Nina Burleigh que de l'image que la couverture de Newsweek en donne ! Dont l'aspect sexiste est accentué dans son aspect réducteur par un visage sans yeux. Dans sa démonstration comme dans l'image qu'elle affiche, l'auteur ne fait que transformer hommes et femmes en objets, soit pour les personnes qui lisent l'article avec un regard critique, l'exacte inverse de l'effet attendu !

La Valley réagit

La réaction ne s'est pas faite attendre venant de la Silicon Valley. Etonnamment ce sont moins les hommes que les femmes qui ont réagi. D'abord pour dénoncer l'image que la couverture du magazine donne d'elles. Ensuite parce qu'elles se sentent instrumentalisées dans un débat qui tend à transformer le cas particulier en généralité. Enfin pour nommer les nombreuses femmes qui soit ont créé leurs entreprises sur la Valley, soit occupent des postes à responsabilité, ou tout simplement qui travaillent dans des organisations aux cotés d'hommes qui n'affichent ni exécutent la libido que l'auteur leur prête.

Dure, la culture...

J'ai évoqué le sujet avec des femmes présentes au Gala des DSI. Au delà de la réalité historique d'un métier d'abord réservé aux hommes, et qui peine à s'ouvrir aux femmes, toutes reconnaissent la difficulté d'évoluer et de s'affirmer dans un milieu masculin. Un phénomène qui cependant n'est pas réservé aux seules IT.

La confrontation des genres lorsque l'un a toujours été dominant entraine pour certains hommes une forme de sexisme culturel visant à affirmer leur domination, et pour certaines femmes la volonté de s'affirmer en tant que tel. Faut-il pour autant associer aux hommes l'image d'une libido débordante, et aux femmes une mini jupe que l'on soulève ?

Si l'article de Newsweek repose sur une réalité, celle d'un métier où le mâle est statistiquement dominant et où la femme peut éprouver des difficultés à s'intégrer dans un milieu encore très masculin, le portrait du mâle obsédé sexuel qui peuple la Valley peut et doit choquer, car il est l'exception et ne correspond pas à la réalité. Mais surtout, il dessert la cause de celles que l'auteur de l'article croit vouloir défendre.