Les espaces de travail ouverts (open space) sont l’objet d’un paradoxe : au lieu de favoriser l’échange, ils créent des obstacles à la collaboration et à la productivité.

Une étude publiée dans The Royal Society menée auprès d’employés de multinationales appartenant au Fortune 500 révèle que la suppression des murs dans les espaces de travail ‘open space’ limite l’intelligence collective. Le résultat serait l’inverse de ce qui est attendu :

  • Les temps d’interaction en face à face ont été réduits de 72 % ;
  • L’utilisation du courrier électronique a augmenté de 56 % ;
  • L’utilisation des messages instantanés a augmenté de 67 %.

Quels sont les effets de la restructuration des bureaux ?

Telle est la question que se sont posée les scientifiques Ethan Bernstein et Stephen Turban de l’Université de Harvard, constatant la pénurie de données sur la pratique des open space. Issus de la restructuration des bureaux, qui en réalité consiste à déstructurer les murs et les espaces fermés des bureaux traditionnels, nos scientifiques ont en effet été interpelés par, d’un coté le mouvement engagé depuis longtemps par les organisations vers les espace ouverts, et de l’autre la masse de réactions de rejets émises par les employés de ces mêmes entreprises.

Les employés se plaignent en particulier du bruit, des distractions, de la perte d’intimité et du sentiment d’être surveillés. Au final, la baisse de productivité serait une tendance nette dans les espaces à l’architecture ouverte.

Avant - Après

L’étude a débuté par la mesure des activités des employés quelques semaines avant la refonte de leur bureau, via un objet connecté porté autour du cou. Les capteurs étaient composés d’un infrarouge pour capturer qui fait face, d’un micro pour capter les bavardages, d’un accéléromètre pour détecter les mouvements, et du Bluetooth pour repérer l’emplacement de la personne. Les communication électroniques ont également été mesurées.

L’expérience a été renouvelée dans les semaines qui ont suivi la refonte des bureaux.

Le résultat le plus surprenant est venu des interactions en face-à-face. Est considérée comme interaction lorsque les capteurs infrarouges des employés se font face, que les microphones captent la parole en alternance, et que les moniteurs de localisation indiquent que les employés sont proches les uns des autres. A l’origine, le temps d’interaction était en moyenne de 5,8 heures par personne. Une fois la transformation effectuée, il est passé à 1,7 heure !

Une seconde étude, plus longue et sur plus de témoins, a révélé que selon les dyades (personnes connues pour interagir les unes avec les autres) et la distance qui sépare les bureaux, le temps d’interaction en face à face a diminué de 67 % à 71 %. Et que l’usage des emails a bondi entre 22 % et 50 %. Seuls les travailleurs dont les bureaux sont restés proches ou qui travaillent dans une même équipe ont constaté des effet plus faibles.

L’échec du mur brisé

En conclusion, et après le constat de la chute de la productivité, Ethan Bernstein et Stephen Turban constatent l’échec de la suppression des murs. Pour eux, et contrairement aux idées reçues, plutôt que de susciter une collaboration en face à face de plus en plus dynamique, l'architecture ouverte a semblé déclencher une réaction humaine naturelle pour se retirer socialement de ces espaces et interagir plutôt sur le courrier électronique et la messagerie instantanée.

Les effets de l'architecture ouverte sur la collaboration ne sont pas aussi simples qu'on le pensait auparavant. Faire s’effondrer les murs ne peut suffire à amplifier la réactivité et l’expérience collective. Au contraire, cela contribue à abaisser la productivité… Ce qui vient confirmer ce que les psychologues sociaux et de l'environnement de travail affirment depuis parfois longtemps, que la suppression des limites spatiales peut diminuer la collaboration et l'intelligence collective.

Source : Etude « The impact of the ‘open’ space on human collaboration » publiée dans The Royal Society, juillet 2018. Cliquer ici pour accéder à l’étude

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