En moins d’un an, la plateforme Snapdragon X de Qualcomm a transformé un segment encore marginal en terrain d’expérimentation massif pour les PC Windows sur architecture ARM. Annoncée au CES 2025, puis enrichie à l’automne avec les Snapdragon X2 Elite et X2 Elite Extreme, cette gamme place l’intelligence artificielle embarquée et l’efficacité énergétique au centre de la proposition de valeur, tout en préparant le retour de Qualcomm sur le marché des processeurs de centres de données.
La généralisation des PC à forte composante d’IA locale ne repose plus uniquement sur les initiatives d’Apple ou sur les portables premium de Microsoft et de ses partenaires. Qualcomm a pris 2025 comme année de démonstration, avec une stratégie assumée de volume sur le milieu de gamme et sur des formats compacts, tout en installant sa marque dans l’imaginaire des directions informatiques. Les choix techniques réalisés sur Snapdragon X annoncent par ailleurs une convergence progressive avec les architectures ARM qui se banalisent déjà dans le cloud et les salles de calcul.
Qualcomm a officiellement dévoilé la plateforme Snapdragon X lors du CES 2025, en la présentant comme un système sur puce conçu pour les usages informatiques quotidiens et les fonctions d’IA embarquée. La société met en avant une combinaison de performances soutenues, de consommation maîtrisée et de prise en charge native des PC Copilot+, avec un accent sur les expériences d’IA générative exécutées localement grâce à l’unité de calcul neuronal intégrée. Cette offensive vise une gamme de machines positionnées autour de six cents dollars, afin de rendre plus accessibles des fonctionnalités auparavant réservées aux portables haut de gamme.
Des itérations rapides avec X2 Elite et X2 Elite Extreme
Au-delà des ordinateurs portables, Qualcomm a profité de ce lancement pour entrer sur le segment des mini PC de bureau. En partenariat avec Lenovo, les puces Snapdragon X équipent des unités compactes présentées comme des PC de bureau réinventés, combinant faible consommation, fonctionnement silencieux et prise en charge de charges bureautiques enrichies par l’IA. Pour les entreprises, cette première année se traduit par une offre structurée de PC ARM Windows orientés mobilité et postes fixes légers, qui crée un nouveau point de comparaison face aux portables x86 traditionnels, en particulier sur les critères d’autonomie et de dissipation thermique.
La bascule vers une seconde génération est intervenue dès septembre 2025, avec l’annonce des Snapdragon X2 Elite et Snapdragon X2 Elite Extreme lors du Snapdragon Summit à Maui. Qualcomm présente ces puces comme les processeurs les plus rapides et les plus sobres pour PC Windows, avec des gains de performances sensibles par rapport aux premiers Snapdragon X. La variante Extreme embarque jusqu’à dix-huit cœurs Oryon, des fréquences pouvant atteindre cinq gigahertz sur deux cœurs et une unité de calcul neuronal donnée pour quatre-vingts téra-opérations par seconde, soit presque le double de la génération précédente.
Les choix d’architecture confirment la volonté de Qualcomm de rapprocher son modèle de celui adopté par Apple sur ses propres puces. Le Snapdragon X2 Elite Extreme utilise un agencement mémoire intégré au boîtier, avec jusqu’à quarante-huit gigaoctets de mémoire LPDDR5X empilée autour du processeur, afin de réduire la latence et de renforcer la bande passante pour les charges d’IA et de création de contenus. Les premiers résultats de mesures publiés par des tiers créditent ce processeur de performances supérieures à celles de l’Apple M4 et des puces x86 concurrentes dans plusieurs tests de calcul, de graphisme et d’IA, tout en conservant un positionnement sur des portables fins et légers à autonomie étendue.
Un bilan contrasté pour l’écosystème logiciel
Sur le terrain, la première année de Snapdragon X dans les PC montre un décalage net entre l’expérience Windows et l’expérience Linux. Sous Windows, l’écosystème progresse, avec un nombre croissant d’applications natives pour ARM et un émulateur Prism renforcé qui prend désormais en charge des jeux d’instructions avancés, comme AVX et AVX2. Qualcomm a également introduit un panneau de contrôle Snapdragon dédié et de nouveaux pilotes graphiques Adreno pour les PC, avec à la clé des gains de performances importants pour les jeux et certaines applications multimédias. Des tests récents rapportent des améliorations pouvant atteindre quarante pour cent sur des titres comme Cyberpunk 2077 ou F1 22, ce qui rapproche l’expérience de celle proposée par des machines x86 équivalentes.
La situation reste toutefois plus difficile pour les usages professionnels fondés sur Linux. Des essais menés sur des portables Snapdragon X Elite avec Ubuntu et des optimisations Linaro montrent des régressions notables, avec des performances globales proches de processeurs Intel Tiger Lake ou AMD Ryzen sortis cinq ans plus tôt, en raison de problèmes de pilotes et de gestion thermique. Certains fabricants ont même renoncé à lancer des portables Linux sur cette plateforme, jugeant la maturité logicielle insuffisante. Pour les directions informatiques, le bilan de cette première année reste donc segmenté. La plateforme apparaît crédible pour des flottes Windows fortement portables et orientées IA, mais elle ne constitue pas encore une base universelle pour des postes de travail multisystèmes ou pour des environnements fortement industrialisés autour de Linux.
Le marché PC entre x86, ARM propriétaire et ARM ouvert
La trajectoire de Snapdragon X s’insère dans une recomposition plus large de l’architecture des PC. Apple poursuit sa stratégie de puces propriétaires avec la série M, Microsoft prépare l’arrivée de nouvelles générations x86, comme Panther Lake tout en misant sur les PC Copilot+, et les acteurs ARM multiplient les offres concurrentes. Qualcomm cherche à occuper la place du fournisseur ARM de référence pour les PC Windows, avec une gamme homogène et un message centré sur l’IA embarquée et la sobriété énergétique.
Parallèlement, l’architecture ARM gagne du terrain dans les centres de données, ce qui contribue à familiariser les équipes techniques avec ces environnements. Arm indique que la moitié de la puissance de calcul livrée aux principaux hyperscalers en 2025 repose sur ses cœurs, dopée par des offres comme AWS Graviton et par des puces comme Grace de Nvidia. AWS annonce que plus de la moitié des nouvelles capacités processeur déployées sur EC2 utilisent déjà Graviton, avec des gains significatifs en coûts et en efficacité énergétique par rapport aux instances x86. Oracle Cloud Infrastructure élargit de son côté ses gammes AmpereOne M, avec des instances A4 standard qui visent des performances en hausse d’environ trente-cinq pour cent et des configurations pouvant monter à près de cent quatre-vingt-douze cœurs ARM. Ces dynamiques créent un environnement favorable à l’acceptation d’architectures ARM dans les parcs informatiques, des postes clients aux plates-formes de calcul.
Vers un retour de Qualcomm dans les processeurs de centres de données
En arrière-plan de Snapdragon X sur les PC, Qualcomm prépare un retour explicite dans les centres de données. En mai 2025, l’entreprise a annoncé qu’elle développait de nouveaux processeurs de centres de données fondés sur la technologie ARM, conçus pour fonctionner de manière étroite avec les processeurs graphiques Nvidia dédiés à l’IA. Cette initiative prolonge des travaux engagés dans les années deux mille dix autour de processeurs ARM pour serveurs, abandonnés ensuite pour des raisons financières et juridiques. L’acquisition d’équipes de conception issues d’Apple a contribué à relancer ces ambitions, qui rejoignent désormais la stratégie plus large de Qualcomm sur le calcul IA à haute efficacité énergétique.
Le paysage concurrentiel dans les centres de données reste toutefois très disputé. Nvidia développe ses propres processeurs Grace pour les couples CPU GPU dédiés aux charges d’IA massives. Ampere et ses partenaires multiplient les serveurs basés sur AmpereOne M, avec des démonstrations lors de salons comme le Korea Electronics Show et Supercomputing 2025. Dans ce contexte, la famille Snapdragon X joue un double rôle pour Qualcomm. Elle sert de vitrine grand public et professionnelle à l’architecture Oryon et aux blocs d’IA et prépare en même temps le terrain pour une offre serveurs ARM qui pourrait s’appuyer sur les mêmes briques technologiques, avec un discours unifié sur la performance par watt et la continuité entre terminaux et centres de données.
Des schémas hybrides où PC ARM et instances Graviton coexistent
Le bilan reste cependant conditionné à la maturité de l’écosystème logiciel et aux arbitrages d’architecture que chaque organisation effectue entre postes clients et centres de données. L’essor des serveurs ARM dans le cloud et les annonces de Qualcomm dans le calcul de centres de données ouvrent la voie à des schémas hybrides où des PC ARM Snapdragon coexistent avec des instances Graviton, Ampere ou Grace pour des charges analytiques et IA. Pour les responsables des infrastructures et des achats, l’enjeu consiste à évaluer de manière pragmatique la valeur métier réelle de ces architectures, à tester les applications critiques dans des environnements pilotes et à définir des trajectoires de migration qui combinent efficacité énergétique, souveraineté des choix technologiques et qualité de service pour les utilisateurs finaux.
Sur cette base, Snapdragon X apparaît moins comme un simple concurrent de plus pour les PC portables que comme l’un des marqueurs d’une transition plus profonde vers un univers informatique où l’architecture ARM devient un fil conducteur, du poste de travail aux plateformes d’IA dans le cloud. Les douze prochains mois diront si Qualcomm parvient à transformer cette première année de démonstration en déploiements massifs dans les flottes professionnelles et en présence tangible dans les salles serveurs.























