La tension sur les semiconducteurs, les hausses de prix de la mémoire et l’accélération des investissements IA bousculent la mécanique habituelle d’approvisionnement des DSI. Les prévisions convergent désormais vers un constat alarmant : l’industrie et ses réseaux de distribution ne garantissent plus le couple prix-disponibilité. Ce qui impose aux DSI une réflexion nouvelle, parfois contre-intuitive, sur la constitution de stocks, la sécurisation contractuelle et la diversification des sources.
Le marché mondial des semiconducteurs traverse une phase paradoxale. Les chiffres industriels confirment une croissance historique, mais cette expansion repose sur une tension permanente entre offre et demande. Selon les dernières prévisions du World Semiconductor Trade Statistics, le marché devrait progresser de plus de 20 % en 2025 pour atteindre environ 772 milliards de dollars, puis s’approcher des 975 milliards en 2026. Derrière ces montants spectaculaires se cache une réalité plus rude pour les directions informatiques. Les segments les plus stratégiques, en particulier la mémoire et les composants au service de l’IA, demeurent structurellement contraints. Pour les DSI, la question n’est plus théorique. Comment sécuriser les prix et la disponibilité dans un marché dont les acteurs eux-mêmes annoncent des tensions durables. Et faudra-t-il, au moins partiellement, revenir au stock.
Le WSTS souligne que la dynamique de croissance du marché mondial repose principalement sur les mémoires et les circuits logiques avec des progressions attendues respectivement d’environ 28 % et 37 % en 2025. La Semiconductor Industry Association rappelle également que le chiffre d’affaires global progresse de plus de 20 % d’une année sur l’autre. Cette accélération traduit l’effet massif de l’industrialisation des usages IA et le rôle central des centres de données, mais elle révèle aussi un déséquilibre structurel. La demande progresse plus vite que la capacité productive réellement disponible sur certaines catégories critiques.
Des prix orientés à la hausse et des disponibilités sous pression
Cette tension n’est pas une projection théorique formulée par des observateurs extérieurs. Elle est explicitement reconnue par les fabricants eux-mêmes. Micron Technology, l’un des acteurs mondiaux majeurs de la mémoire DRAM et NAND, indique dans ses communications financières que les conditions de marché tendues devraient persister au-delà de 2026. L’entreprise anticipe certes une hausse de l’ordre de 20 % de ses expéditions de mémoire en 2026, mais cette augmentation n’effacera pas l’écart entre la demande – notamment celle alimentée par les centres de données IA – et les capacités réellement disponibles. Micron précise même que sa production de DRAM pourrait ne couvrir qu’entre 50 % et 66 % des besoins exprimés par ses principaux clients, ce qui constitue un signal industriel particulièrement rare et explicite.
Ces annonces industrielles ont des conséquences directes et mesurables. Lorsque des fabricants expliquent qu’ils ne pourront satisfaire qu’entre la moitié et les deux tiers des demandes de DRAM de leurs partenaires stratégiques, cela signifie mécaniquement pression sur les prix, arbitrages défavorables pour certains segments de clientèle et délais d’approvisionnement étirés. Plusieurs rapports industriels évoquent déjà des hausses marquées des prix sur les mémoires serveurs et les modules de nouvelle génération, avec des augmentations à deux chiffres au fil des trimestres et des attentes de progression supplémentaire à moyen terme.
L’autre phénomène tient à la priorisation industrielle. Une part croissante de la capacité mondiale de production de DRAM est désormais allouée aux besoins des centres de données et des environnements IA. Dans ses analyses sectorielles, le WSTS rappelle que la catégorie mémoire devient l’un des moteurs essentiels du marché, précisément parce qu’elle est massivement sollicitée par ces usages avancés. Cela signifie que les segments plus classiques, renouvellement d’équipements, infrastructures hybrides, postes de travail, se retrouvent dans une compétition accrue pour accéder aux volumes restant disponibles. Cette mécanique contribue à installer une pression durable sur l’équation prix et disponibilité.
Un marché en croissance rapide mais intrinsèquement instable
Le message global transmis par les organisations de filière est clair. Le marché progresse rapidement, mais il progresse en déséquilibre. La trajectoire vers près de 1 000 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2026 ne s’accompagne pas d’une fluidité retrouvée. Au contraire, elle révèle une industrialisation contrainte où chaque point de capacité libéré par les fabricants est immédiatement absorbé par les projets IA et les infrastructures cloud. Le WSTS souligne ainsi que la croissance repose sur des segments à forte intensité mémoire, ce qui confirme que la tension actuelle n’est pas un accident conjoncturel mais la conséquence directe d’une transformation profonde des usages numériques.
Pour les DSI, cette réalité chiffrée change la nature du pilotage. Le principe implicite selon lequel la croissance de l’industrie allait automatiquement stabiliser les prix et réduire les délais ne tient plus. Lorsque des acteurs industriels annoncent des disponibilités partielles, quand les projections officielles indiquent une demande mémoire supérieure à l’offre au moins jusqu’en 2026 voire au-delà, la continuité des projets IT ne peut plus reposer sur le seul postulat d’un marché fluide. Les directions informatiques doivent désormais considérer la volatilité comme une donnée structurelle et non comme une phase transitoire.
Ce que les DSI doivent désormais organiser face à cette instabilité du marché
Les directions des systèmes d’information se retrouvent ainsi face à des arbitrages opérationnels très concrets. Des hausses de coûts significatives sur certaines familles de composants, des risques de retard et la possibilité réelle de ne pas obtenir à temps les ressources nécessaires pour des projets IA, cloud ou modernisation d’infrastructure imposent une transformation de la gouvernance des approvisionnements. Il ne s’agit plus seulement de composer avec une tension passagère, mais d’organiser durablement la résilience opérationnelle face à un marché instable par nature.
Faut-il faire des stocks
Cette réalité impose trois exigences particulièrement structurantes. D’abord, une planification budgétaire capable d’intégrer des scénarios de prix élevés et volatils, avec des marges de sécurité financières inscrites dès l’amont. Ensuite, un pilotage contractuel plus stratégique, fondé sur des engagements pluriannuels, des clauses de sécurisation de volumes et une diversification réelle des fournisseurs afin d’éviter des dépendances critiques. Enfin, une politique assumée d’anticipation matérielle, incluant la constitution ciblée de stocks de sécurité pour des composants identifiés comme critiques et longs à obtenir, lorsque les chiffres de l’industrie confirment que la disponibilité restera partielle et priorisée. Autrement dit, la DSI n’attend plus que le marché se stabilise. Elle s’équipe pour fonctionner durablement dans un environnement où la contrainte devient la norme.
Les données disponibles invitent à une position équilibrée et pragmatique. D’un côté, les projections du WSTS et les communications des industriels montrent que la tension sur la mémoire et certains segments critiques ne se résorbera pas rapidement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Un marché mondial à 772 milliards de dollars en 2025, près de 975 milliards anticipés en 2026, mais une capacité mémoire qui reste insuffisante pour satisfaire la totalité des besoins, avec des fabricants reconnaissant ouvertement ne couvrir qu’entre 50 % et 66 % des demande DRAM adressée par leurs clients.
De l’autre, constituer des stocks massifs resterait économiquement risqué et potentiellement contre-productif. La voie la plus solide consiste donc à combiner un stock de sécurité ciblé sur les éléments critiques et longs à obtenir avec des accords contractuels ad hoc et une diversification raisonnée des approvisionnements. Dans un marché où la croissance s’accompagne désormais d’instabilité, ce sont les organisations capables d’articuler l’anticipation matérielle à la sécurisation contractuelle et la souplesse architecturale qui disposeront d’un avantage compétitif certain.





















