En ouvrant Agentforce 360 à son écosystème d’éditeurs de logiciels indépendants, Salesforce emprunte une trajectoire stratégique structurante. Agentforce 360 devient désormais une plateforme ouverte, pensée pour permettre aux partenaires de bâtir, de distribuer et de monétiser leurs propres agents IA. En filigrane, Salesforce pose les bases d’un écosystème agentique qui rappelle, par sa logique, ceux construits historiquement autour des systèmes d’exploitation.

Avec Agentforce 360, Salesforce ne se contente plus d’enrichir sa pile technologique. L’éditeur formalise un changement de paradigme engagé de longue date, mais rarement exprimé aussi clairement. Après avoir structuré le cloud applicatif avec Force.com, puis AppExchange, Salesforce franchit un nouveau seuil en exposant les fondations mêmes de ses applications pilotées par l’IA. L’annonce du 11 décembre prolonge directement celle d’octobre, qui présentait l’agent IA comme l’unité centrale de l’entreprise de demain, non plus comme un simple outil, mais comme un acteur logiciel capable d’agir au cœur des processus métiers.

Jusqu’ici, Agentforce 360 constituait avant tout un socle stratégique interne, destiné à unifier les agents IA à travers les fonctions commerciales, marketing, financières ou sectorielles de Salesforce. Son ouverture aux partenaires ISV change radicalement sa nature. L’agentique n’est plus un avantage compétitif réservé à l’éditeur, mais un cadre commun proposé à l’écosystème. À bien des égards, Salesforce adopte ici une posture comparable à celle d’un éditeur de système d’exploitation, qui fournit un socle standardisé, pendant que les acteurs tiers construisent les usages et la valeur visible.

Un socle agentique commun, à la manière d’un OS

L’ouverture annoncée marque une rupture avec le modèle historique de la plateforme. Les partenaires ne se contentent plus d’exploiter Force.com en périphérie ou de composer avec des briques isolées. Ils accèdent désormais aux mêmes fondations que celles utilisées par Salesforce pour ses propres produits, Agentforce 360, Data 360, Agentforce Marketing, les déclinaisons sectorielles, mais aussi Salesforce Foundations et les Trusted Services. L’IA, les données, l’automatisation, la gestion des identités, la conformité et les mécanismes de confiance deviennent ainsi des capacités natives, directement exploitables.

Cette approche renvoie à une logique bien connue dans l’histoire du logiciel. Comme un système d’exploitation abstrait la complexité matérielle et sécuritaire pour les développeurs d’applications, Agentforce 360 abstrait la complexité de l’IA agentique en entreprise. Salesforce fournit la gestion des autorisations, la supervision, la gouvernance des données et le passage à l’échelle. Les partenaires se concentrent sur l’essentiel, la traduction de leur expertise métier en agents opérationnels. « Agentforce 360 s’avère être un changement retentissant sur le marché du logiciel, où l’expertise devient le principal moteur de l’innovation », résume Frank Della Rosa, vice-président chez IDC.

De partenaires commerciaux à éditeurs d’agents

Sur le plan commercial, l’impact est majeur. Les ISV ne sont plus cantonnés à la fourniture d’extensions fonctionnelles. Ils deviennent des éditeurs d’agents IA à part entière, capables de concevoir des solutions métiers complètes, de les commercialiser et de les opérer au sein même de l’écosystème Salesforce. L’articulation renforcée entre Agentforce 360, AppExchange et la future Salesforce Partner Marketplace crée un continuum qui rappelle celui des magasins d’applications associés aux grands OS.

Les modèles de tarification proposés, par utilisateur, à l’usage ou à la consommation via des crédits, renforcent cette analogie. La valeur n’est plus liée au simple déploiement d’un logiciel, mais à l’usage réel des agents et à leur contribution opérationnelle. L’accès à des données de consommation en temps réel pousse les partenaires à faire évoluer leurs offres en continu. Salesforce, de son côté, consolide sa position de plateforme centrale, captant une partie de la valeur économique générée tout en renforçant l’effet de réseau de son écosystème.

Une réponse aux limites du développement assisté par l’IA

Salesforce inscrit également cette ouverture dans une critique implicite des pratiques de développement accéléré par l’IA. Les outils de prototypage rapide, souvent regroupés sous l’étiquette de « Vibe Coding », facilitent l’expérimentation, mais laissent aux équipes la charge de la sécurité, de la conformité et du passage à l’échelle. Dans les faits, ce qui commence comme une application simple se transforme fréquemment en système interne coûteux et difficile à maintenir.

En exposant directement sa plateforme agentique, Salesforce cherche à éviter cet écueil. L’éditeur met en avant une architecture commune à toutes les activités, fondée sur un objet central, des processus reproductibles, un modèle d’autorisations, une couche d’engagement et un dispositif de supervision. Ces briques, désormais accessibles aux partenaires, permettent de transformer plus rapidement une expertise sectorielle en solution industrialisée, sans reconstruire l’ensemble de la chaîne logicielle.

Une position distincte face aux hyperscalers et aux éditeurs verticaux

Sur le terrain concurrentiel, l’ouverture d’Agentforce 360 clarifie le positionnement de Salesforce. L’éditeur ne cherche pas à rivaliser frontalement avec les hyperscalers sur l’infrastructure ou la performance brute des modèles. Il se distingue en proposant une plateforme agentique directement reliée aux processus métiers et aux données opérationnelles, là où les fournisseurs de cloud livrent avant tout des briques techniques.

Cette stratégie exerce aussi une pression indirecte sur les éditeurs verticaux. En abaissant fortement les barrières à l’entrée, Salesforce permet à ses partenaires de proposer rapidement des solutions sectorielles comparables, mais adossées à un socle commun déjà déployé chez les clients. Comme dans les écosystèmes de systèmes d’exploitation, la différenciation se déplace vers la profondeur de l’expertise et la qualité de l’expérience fournie par les agents.

Un écosystème agentique structuré autour d’un socle unique

En qualifiant cette annonce de plus grande mise à jour de sa plateforme depuis dix-huit ans, Salesforce assume la portée du mouvement. L’éditeur ne se contente plus d’animer un écosystème applicatif. Il organise une économie de l’agentique, dans laquelle l’agent IA devient l’unité de valeur fondamentale, conçue, distribuée, monétisée et supervisée dans un cadre standardisé.

Pour les partenaires, l’opportunité réside dans l’accélération du time-to-market et la réduction des coûts fixes. Pour Salesforce, l’enjeu consiste à imposer son modèle comme un standard de fait, tout en assumant les effets de dépendance propres aux écosystèmes dominants. À travers Agentforce 360, l’éditeur esquisse ainsi une ambition claire, devenir le socle de référence, comparable à un système d’exploitation, sur lequel se construit l’IA agentique en entreprise.

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