La poussée des agents IA révèle un mouvement stratégique au sein de nombreuses entreprises, les administrations et les fournisseurs de services : échapper aux coûts, aux limites fonctionnelles et au verrouillage des applications métier historiques. Si la transition reste partielle, la dynamique de contournement se confirme, portée par la montée des solutions agentiques sur mesure, des plateformes libres et des outils d’automatisation avancée.

Tandis que les éditeurs historiques tentent de basculer leurs offres sur des modèles à intelligence artificielle, un nombre croissant d’organisations explorent des scénarios de désintermédiation par l’intelligence artificielle. La désintermédiation par l’agentification désigne la stratégie adoptée par certaines entreprises visant à remplacer, partiellement ou totalement, des applications métier traditionnelles, qu’il s’agisse de progiciels, de solutions SaaS ou d’applications sur mesure, en leur substituant une ou plusieurs couches d’agents d’intelligence artificielle. Des agents IA, conçus sur mesure ou orchestrés à partir de plateformes libres et d’outils d’automatisation avancée, prennent directement en charge des fonctions métier comme le traitement des demandes RH, la gestion du support IT, l’analyse de la relation client, l’exécution de processus financiers ou logistiques.

Derrière cette tendance se dessine une stratégie bien plus radicale : substituer progressivement les applications métier par des agents IA personnalisés, capables de s’interfacer directement avec les sources de données, de piloter les processus et d’offrir une flexibilité sans précédent. Ce mouvement s’appuie sur le rejet de la rigidité logicielle, l’explosion des coûts de licence, mais aussi sur la volonté de reprendre la main sur la logique métier et la souveraineté applicative.

Contrairement à l’intégration « classique » de l’IA (qui vise à enrichir l’existant), la désintermédiation par l’agentification consiste à court-circuiter ou à remplacer la couche applicative, de façon à restaurer la maîtrise des données, à optimiser les coûts, à personnaliser les workflows métier et à éviter la dépendance vis-à-vis d’un éditeur ou d’une solution fermée. Entre expérimentations, limites techniques et perspectives de souveraineté applicative, la dynamique s’accélère, poussant les éditeurs à redéfinir leur offre et leur modèle économique.

Les signaux d’une volonté de désintermédiation applicative

De premiers cas concrets émergent : ainsi, un industriel européen a déployé un « ERP Manager AI Agent » afin de piloter la planification et l’exécution des tâches critiques, réduisant significativement le recours à son progiciel ERP traditionnel. Cette dynamique de substitution ne se limite pas à l’ERP : selon L.E.K. Consulting, les agents IA, en étant « agnostiques à la couche applicative », s’invitent désormais dans la gestion RH, le support IT et la relation client. Les données issues des observatoires sectoriels confirment une progression rapide. Gartner relève que 15 % des responsables applications étudient le remplacement partiel ou total de solutions SaaS par des agents autonomes, une proportion en nette hausse sur un an.

La différence essentielle avec la simple adoption d’outils IA réside dans la logique de contournement. Ici, l’agent n’enrichit pas l’application existante, il prend sa place ou détourne ses flux. Plusieurs intégrateurs rapportent que des clients, frustrés par l’inertie des évolutions et la lourdeur des audits, privilégient désormais le développement d’agents sur mesure ou l’utilisation de plateformes ouvertes (UiPath, LangChain, RelevanceAI) pour industrialiser ces substitutions. Ces initiatives illustrent un rejet du modèle « one size fits all » imposé par les applications historiques.

Modalités techniques et organisationnelles du contournement

La désintermédiation applicative prend des formes variées passant par des agents IA développés en interne, l’orchestration par plateformes low‑code, l’exploitation de lacs de données pour piloter les processus métier, ou encore le recours à des scripts « sauvages » contournant les règles des logiciels en place. L.E.K. Consulting insiste sur le fait que ces agents, dès lors qu’ils maîtrisent l’accès aux données et la logique de workflow, permettent d’abstraire complètement la couche applicative. L’utilisateur final interagit avec un agent contextuel, qui orchestre et exécute les tâches au fil de l’eau.

Dans certains cas, la migration est progressive. L’agent prend en charge des fonctions périphériques (support, onboarding, analyse de tickets) avant de s’emparer de blocs critiques. D’autres entreprises optent pour une bascule plus adicale, par exemple en formant un agent à reproduire les usages RH ou IT documentés, puis en coupant l’accès à la solution SaaS initiale. Cette stratégie, documentée par DecisionBrain et confirmée par des témoignages anonymes, s’appuie sur l’essor des plateformes d’entraînement IA libres et des outils open source permettant d’émuler les scénarios d’usage réels.

Motivations : coûts, souveraineté, agilité métier

Le coût des licences, l’opacité des contrats et l’inadéquation fonctionnelle figurent parmi les motivations majeures évoquées. Selon une étude Bain & Company, plus de 80 % des projets ERP échouent à tenir leurs engagements de coûts et de délais. Les entreprises cherchent donc des alternatives plus souples et évolutives. Les agents IA permettent de s’affranchir de la dépendance à un éditeur, de piloter la personnalisation sans attendre les cycles de mise à jour, et de reprendre le contrôle sur la donnée et la logique métier.

À ces raisons s’ajoute une volonté de souveraineté numérique. Dans le secteur public ou les industries sensibles, la maîtrise des flux de données et la capacité à auditer les processus sont devenues des exigences critiques. L’agent IA, conçu sur mesure, peut être hébergé sur une infrastructure contrôlée, audité selon des critères internes et ajusté au fil de l’évolution des besoins, sans passer par l’intermédiaire d’un tiers éditeur. Cette logique s’impose dans les appels d’offres récents et pèse déjà sur le modèle économique des plateformes SaaS.

Les chaînes de valeur logicielles bousculées

Le mouvement de désintermédiation porté par les agents IA bouleverse déjà les chaînes de valeur logicielles. Les éditeurs accélèrent l’ouverture de leurs API, proposent des extensions IA embarquées et tentent de réintégrer la couche agentique au sein de leurs plateformes. Mais la dynamique s’est enclenchée . Selon le Boston Consulting Group, la part des fonctions critiques externalisées vers des agents IA pourrait tripler d’ici 2030 dans les entreprises les plus matures.

Au-delà de la simple réduction des coûts, l’agent IA ouvre la voie à une personnalisation continue, à une réactivité métier accrue et à une refondation des systèmes d’information sur des bases plus modulaires. La période actuelle, marquée par l’expérimentation et la fragmentation, préfigure une recomposition profonde du marché logiciel. Les organisations capables de maîtriser les risques et d’orchestrer ce passage agentique en retireront un avantage concurrentiel décisif.

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