Le sommet de la souveraineté numérique (digitale Souveränität en allemand) européenne de Berlin, a marqué un tournant historique. Pour la première fois, l’Allemagne s’aligne publiquement sur la position française en faveur d’un cloud souverain défini à l’échelle européenne et d’une préférence européenne dans les marchés publics du cloud. Cette inflexion, portée par le chancelier Friedrich Merz aux côtés d’Emmanuel Macron, signe la fin d’un dialogue de sourds entre Paris et Berlin sur la notion même de souveraineté numérique.
Depuis plus d’une décennie, l’Allemagne ne voulait pas entendre parler de « digitale Souveränität », qui opposait, jusqu’à présent, deux visions en Europe. Fidèle à sa stratégie de « non alignement », la France défend une approche volontariste, fondée sur la protection des données stratégiques et le soutien aux acteurs industriels locaux, tandis que l’Allemagne privilégiait une conception plus ouverte, craignant que l’affirmation d’une préférence européenne n’aboutisse à des mesures protectionnistes ou à une distorsion de la concurrence. Ce clivage a longtemps bloqué l’adoption de référentiels communs, notamment autour de la certification européenne de cybersécurité, empêchant la consolidation d’un véritable marché du cloud souverain face aux géants américains et chinois.
Le discours prononcé par Friedrich Merz à Berlin marque un basculement inédit dans la diplomatie numérique européenne. En affichant un soutien explicite à la définition d’un cloud souverain à l’échelle de l’Union et à l’introduction d’une préférence européenne dans la commande publique, le chancelier acte un alignement stratégique avec la France. Cette évolution ne relève pas d’un simple affichage politique, elle engage l’Allemagne à soutenir activement la construction d’une infrastructure cloud européenne capable de répondre aux exigences de sécurité, de résilience et de compétitivité.
« Le Sommet marque une étape importante sur la voie d’une Europe numérique plus souveraine, plus sûre et plus compétitive, a affirmé le Chancelier Mertz. […] Pour l’Europe, la souveraineté numérique, c’est la capacité à façonner la technologie sur toute la chaîne de valeur en tenant compte des intérêts et des besoins européens. Notre objectif est la concurrence sur un pied d’égalité, sans exclure personne. … Je me réjouis vivement de l’annonce par nos entreprises d’investissements de plus de 12 milliards d’euros dans les technologies clés. C’est là un signal important : l’Europe sera à la hauteur. »
Un message immédiatement salué par Emmanuel Macron, qui a rappelé pour sa part que « Le Sommet sur la souveraineté numérique adresse un message clair : l’Europe a tout pour être à l’avant‑garde de l’ère numérique. Aux côtés de l’Allemagne […], ce sommet apporte des progrès concrets. L’Europe redouble d’efforts pour accélérer le rythme de l’innovation européenne, maintenir une protection des données très forte et demander des conditions de marché équitables ».
Vers une politique industrielle du cloud unifiée
Ce rapprochement survient dans un contexte de recomposition rapide des marchés du cloud, alors que la domination des fournisseurs extraeuropéens interroge la capacité de l’Union à maîtriser ses propres infrastructures et à préserver la confidentialité des données sensibles. La décision allemande d’adhérer à une logique « acheter européen » dans les marchés publics du cloud ouvre la voie à de nouveaux mécanismes de soutien aux acteurs du continent, tout en renforçant la crédibilité des initiatives portées par la Commission européenne, telles que Gaia-X ou le schéma européen de cybersécurité cloud (EUCS). Elle devrait aussi relancer les discussions sur la normalisation, l’interopérabilité et la montée en gamme des offres cloud européennes.
Au-delà de la convergence politique, ce virage franco-allemand préfigure une stratégie industrielle coordonnée autour du cloud souverain, de la gestion des identités numériques et de la protection des infrastructures critiques. Les enjeux dépassent la simple préférence d’achat, puisqu’il s’agit d’instaurer des règles du jeu favorisant la compétitivité des fournisseurs européens tout en renforçant la confiance des utilisateurs publics et privés. Les prochaines étapes pourraient inclure la mise en place d’incitations à l’investissement, le recours accru à la commande publique innovante, ainsi qu’une harmonisation accélérée des standards de sécurité et de conformité dans l’ensemble des États membres.
Les entreprises du numérique, les opérateurs d’infrastructures et les pouvoirs publics espèrent dans ce rapprochement un signal de clarification après des années d’ambiguïté réglementaire et de fragmentation du marché. En réalité, La prise de position commune des deux dirigeants entérine en réalité une dynamique écosystémique amorcée depuis plusieurs années au sein de l’industrie numérique européenne. Tandis que Paris et Berlin s’opposaient publiquement sur la définition d’un cloud souverain, de nombreux consortiums et alliances industrielles se sont structurés autour de solutions qualifiées ou certifiées, portées par des fournisseurs européens de confiance.
Qu’il s’agisse de Gaia-X, du projet CISPE, de l’alliance S3NS ou des offres opérées par OVHcloud, Deutsche Telekom, Thales, Atos ou encore Orange, le tissu industriel européen a anticipé la nécessité d’articuler sécurité, conformité réglementaire et performance dans des offres pensées pour les besoins locaux. La montée en puissance de ces initiatives, souvent soutenues par les politiques d’achat public ou les exigences sectorielles (finance, énergie, santé, administration), a progressivement imposé de nouveaux standards et permis de démontrer la capacité de l’Europe à structurer son marché autour d’un socle souverain et interopérable. En ce sens, le sommet de Berlin officialise politiquement un mouvement de fond déjà bien engagé dans la réalité des marchés et des chaînes de valeur, où la souveraineté s’incarne désormais dans des solutions conjointes et des modèles économiques compétitifs.
Dans ce contexte, et si la mise en œuvre effective reste à venir, le sommet de Berlin acte la volonté commune de sortir du statu quo et de construire une souveraineté européenne à la fois réaliste, compétitive et fédératrice. Pour la filière cloud, cette dynamique ouvre une nouvelle fenêtre d’opportunité, en permettant aux acteurs européens de rivaliser sur des critères de confiance, de conformité et d’innovation face aux géants extraterritoriaux du secteur.























