À l’orée de 2026, l’Union européenne veut croire en un redémarrage de son ambition technologique. Dans un paysage géopolitique polarisé et un environnement économique marqué par les incertitudes industrielles, la croissance robuste du secteur deeptech en 2025 ravive l’espoir d’un sursaut collectif. Mais à quelles conditions ce réveil deviendrait-il structurel, créateur de valeur durable, et facteur de souveraineté technologique ?

Les Européens doutent souvent de leur propre capacité à jouer les premiers rôles dans la course technologique. Cette réserve, nourrie par les retards accumulés face aux géants américains dans les logiciels, les puces ou les plateformes, alimente une forme de fatalisme industriel. Pourtant, l’intelligence artificielle, et plus largement la deeptech, pourrait rebattre les cartes. Contrairement à l’époque de la micro-informatique ou du cloud, l’Europe n’a pas complètement raté le coche. Licornes souveraines, laboratoires d’excellence, industriels mobilisés, 2025 laisse entrevoir une bascule possible, à condition de dépasser la fragmentation et de structurer l’élan en écosystème pérenne.

2025, une année révélatrice, mais non décisive

L’année 2025 constitue un tournant pour l’écosystème européen des technologies avancées, ou deeptech. L’investissement dans les jeunes pousses deeptech s’est accéléré, porté par une mobilisation conjointe de fonds publics et privés, et une attention politique renouvelée. Cette dynamique, déjà amorcée avec la progression de licornes comme Mistral AI, Helsing ou IQM, traduit un regain de confiance dans le potentiel industriel de l’Europe.

Pour autant, les fondations restent fragiles. Une analyse de McKinsey (Europe’s deep-tech engine could spur $1 trillion in economic growth) montre que, si la France, la Suède et le Royaume-Uni s’imposent comme locomotives de cette transformation, l’ensemble du continent reste en retrait face aux États-Unis et à la Chine. En 2024, seuls 8 % des licornes deeptech mondiales étaient européennes. Le défi consiste désormais à stabiliser ces signaux positifs par une stratégie d’écosystème, à la fois coordonnée et auto-entretenue.

Deep tech : un moteur économique et stratégique encore sous-exploité

La promesse de la deeptech ne se résume pas à des paris technologiques. Il s’agit d’un levier de croissance mesurable. McKinsey estime à 1 000 milliards de dollars la valeur que pourrait générer ce secteur en Europe d’ici à 2030, avec à la clé jusqu’à un million d’emplois. Les entreprises du domaine présentent un ratio d’emplois nettement supérieur par dollar de valorisation que celles de la tech conventionnelle, en raison de leur intensité en recherche, en talents et en industrialisation.

Au-delà de la valeur économique, ces technologies (calcul quantique, fusion, biotechnologies, IA explicable, nanomatériaux) répondent à des enjeux sociétaux majeurs, comme la sécurité alimentaire, la transition énergétique, l’autonomie stratégique. Elles permettent à l’Europe de redéployer une capacité d’action dans des domaines critiques longtemps délaissés au profit de services numériques de consommation.

Apprendre de la Chine, accélérer la coordination européenne

C’est dans ce contexte que « Le policy brief » du think tank Bruegel invite à tirer des leçons de la stratégie d’innovation chinoise. Loin du modèle européen libéral et fragmenté, Pékin s’appuie sur des coalitions techno-industrielles puissantes, une planification à long terme, des financements croisés public-privé et une approche résolument souveraine. Cette capacité à coupler ambition technologique et volonté politique permet à la Chine d’occuper des positions clés dans les semiconducteurs, l’IA, les biotechnologies ou l’espace.

À l’inverse, l’Europe reste pénalisée par des marchés morcelés, des guichets de financement éclatés et une faible mutualisation des risques. La note souligne que seule une gouvernance centralisée, inspirée des logiques de « big push » étatiques, permettra d’aligner les investissements, la régulation et les politiques industrielles. Le modèle français de « Mission French Tech » ou les fonds de pension suédois mobilisés pour le capital-risque constituent des pistes concrètes à généraliser.

Créer des conditions de scale-up souverain

Le principal risque souligné par McKinsey reste la fuite des start-up européennes vers les États-Unis une fois la phase d’accélération enclenchée. Trois raisons expliquent ce mouvement : l’accès au capital de croissance, la simplicité réglementaire et l’effet réseau des grands clients industriels. Pour inverser cette tendance, six leviers sont identifiés : le financement à tous les stades, l’accès à la liquidité locale, un cadre réglementaire favorable, des commandes publiques, des infrastructures partagées et l’attractivité des talents.

Le développement d’un marché européen unifié de la deeptech passerait ainsi par un alignement des dispositifs fiscaux, une normalisation des régimes de propriété intellectuelle, une fluidification des procédures de financement public et une implication renforcée des industriels. Il s’agit de rendre possible une trajectoire de croissance locale, sans exil technologique ni dilution stratégique.

Rebâtir une ambition industrielle à la hauteur des enjeux

L’Europe ne manque ni de chercheurs ni de fonds ni d’idées. Elle manque encore d’une dynamique collective capable de transformer les réussites isolées en filières durables, régionales et intégrées. La deeptech ne doit pas être pensée comme une niche d’excellence, mais comme un socle industriel fondamental, un moteur de croissance, un outil de résilience et une condition de souveraineté.

La décennie 2020 avait mal commencé pour l’économie européenne, freinée par les effets de la pandémie, les tensions énergétiques et les dépendances stratégiques ; 2025 pourrait marquer un basculement. À condition d’apprendre des retards passés, de ne pas copier les modèles existants, et de concevoir une stratégie proprement européenne, fondée sur l’interdépendance maîtrisée, la valorisation de la recherche publique et une ambition industrielle commune de long terme.

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