La nouvelle édition de l’étude PwC sur les 100 premières licornes mondiales met à nu une réalité essentielle. La forte hausse des valorisations ne reflète pas une bulle spéculative comparable à celle du Web des années 2000, mais l’essor accéléré d’actifs techniques concrets et d’infrastructures lourdes portées par l’intelligence artificielle. Les données de PwC montrent une croissance tirée à 80 pour cent par les entreprises de l’IA. Le phénomène de l’IA ne peut être réduit une bulle spéculative, artificiellement gonflée, il signale une transformation industrielle en cours.

L’essor des licornes de l’IA et les investissements démesurés injectés dans le marché suscitent de nombreuses interprétations, souvent marquées par des comparaisons hâtives avec la bulle Internet. Pourtant, les ressorts économiques des deux « bulles » ne se recoupent pas : les deux phénomènes ne reposent ni sur les mêmes actifs, ni sur les mêmes usages, ni sur les mêmes mécanismes de marché. La bulle Internet finançait massivement des entreprises sans technologie, sans modèle économique et sans audience. L’essentiel du capital se déversait dans des coquilles vides, des sites web basiques ou des promesses abstraites de trafic. Les coûts d’entrée étaient très faibles, ce qui favorisait l’apparition de milliers de projets indifférenciés. La valeur reposait sur l’espoir d’une monétisation future, rarement sur des produits opérationnels. Lorsque les investisseurs ont constaté l’absence de revenus et de barrières à l’entrée, la chute a été brutale et générale.

Les valorisations dans l’IA reposent sur une technologie tangible

La dynamique actuelle autour de l’IA s’inscrit dans un cadre totalement différent. Les entreprises financées développent des modèles techniques complexes, nécessitant des volumes importants de calcul. Elles construisent des pipelines de données sophistiqués et s’appuient sur des équipes d’ingénierie hautement qualifiées. Les actifs existent, sont tangibles, testables et comparables. L’entraînement d’un modèle à plusieurs milliards de paramètres exige des investissements industriels lourds, loin des vitrines numériques vides des années 2000. Les coûts d’entrée élevés créent une barrière naturelle qui limite la prolifération des projets peu fiables. Le phénomène prend une forme de concentration, non de dispersion anarchique.

Les usages constituent une autre différence majeure. Au moment de la bulle Internet, une grande partie des entreprises financées n’avaient ni utilisateurs ni revenus. Aujourd’hui, les modèles d’IA sont déployés dans le développement logiciel, l’automatisation documentaire, l’assistance client, la cybersécurité, la santé ou encore la finance. L’adoption est générale et mesurable. Les valorisations ne portent pas sur un espoir théorique, mais sur une technologie déjà intégrée dans les outils de travail et les chaînes de valeur.

C’est la raison pour laquelle PwC relève une progression de 44 pour cent des valorisations dans l’IA, passant d’une valorisation cumulée de 2 054 milliards un an plus tôt à 2 949 milliards de dollars cette année. Une progression largement portée par les entreprises spécialisées dans l’entraînement de modèles. Cette dynamique n’a rien d’une construction virtuelle. Elle révèle des choix d’investissement centrés sur la création d’actifs technologiques tangibles, coûteux et auditables. Les seuils de valorisation progressent, les tours de table se stabilisent, les introductions en bourse augmentent. Autant d’indicateurs qui témoignent d’une maturité croissante, loin des exubérances de 1999.

L’étude PwC confirme aussi un déplacement majeur de la valeur vers les entreprises capables de produire, d’entraîner et de maintenir des modèles avancés. Les licornes IA du Top 100 franchissent la barre de 1 252 milliards de dollars de valorisation, contre 564 milliards un an plus tôt. Cette progression de 122 % reflète la matérialité de leurs actifs. Un modèle de langage de plusieurs milliards de paramètres n’a rien d’une promesse abstraite. Il mobilise des grappes de processeurs graphiques, des ensembles de données vastes et curés, des architectures de formation, des pipelines d’inférence et des équipes spécialisées. Ces éléments peuvent être évalués, testés et comparés. La création de valeur porte sur des artefacts techniques, non sur une exposition médiatique ou des comptes utilisateurs gonflés artificiellement.

Contrairement à la bulle Internet, où des sociétés pouvaient lever des millions sans trafic, sans technologie et sans produit réel, les jeunes pousses de l’IA construisent des modèles qui fonctionnent et dont les performances peuvent être mesurées. PwC signale que 39 entreprises sur 43 ayant levé des fonds l’ont fait à une valorisation supérieure à leur précédente étape de financement, ce qui indique un mécanisme de validation continue. Les investisseurs réévaluent ces entreprises en fonction de résultats tangibles, qu’il s’agisse de capacités de génération, de performances d’inférence ou d’intégration dans des environnements industriels. La dynamique repose donc sur une maturité technologique croissante, non sur la spéculation de façade.

Le retour des introductions en bourse montre un marché qui se réorganise

L’étude de PWC enregistre par ailleurs neuf introductions en bourse dans le Top 100, contre seulement deux en 2024. Cette réouverture soudaine des marchés confirme une réalité souvent passée sous silence. Nous ne sommes pas en présence d’une bulle où les marchés se crispent et désertent les entreprises en hypercroissance. Au contraire, la liquidité revient. Les fondateurs comme les investisseurs disposent de plusieurs chemins de monétisation. Les sociétés matures du Top 100 se réorganisent, consolident leurs structures, affinent leur gouvernance et préparent des sorties ordonnées. L’étude montre que les entreprises américaines renforcent leur domination avec 61 représentantes dans le classement, tandis que l’Europe enregistre une progression modérée mais réelle, portée notamment par l’entrée de Mistral AI à la 43ᵉ place.

Ce retour des IPO n’est pas le signe d’une euphorie irrationnelle mais d’une visibilité accrue sur les modèles économiques. Les marchés valorisent les entreprises capables de développer des technologies critiques, d’attirer des clients et de stabiliser leur trajectoire de croissance. La présence croissante d’hectocornes dans les secteurs de l’IA, de la défense et de l’espace illustre également un phénomène d’industrialisation. Les capitaux affluent vers les acteurs susceptibles de structurer des chaînes de valeur complètes, où la maîtrise de l’entraînement, du déploiement et de la protection des modèles occupe une place centrale. Cette architecture économique n’a rien d’une bulle sans fondement, elle incarne une recomposition stratégique mondiale.

Une concentration de la valeur qui reflète l’accès au calcul et non une frénésie spéculative

PwC montre une concentration forte de la valeur dans un nombre limité d’entreprises IA, passées de 19 à 27 dans le Top 100. Cette sélectivité contraste radicalement avec la bulle Internet dont la croissance s’accompagnait d’une multiplication anarchique de projets sans substance. L’accès au calcul intensif crée une barrière à l’entrée élevée qui filtre naturellement les prétendants. Les acteurs capables d’absorber le coût du matériel, d’attirer des chercheurs et d’industrialiser leur chaîne d’entraînement sont rares. Cette rareté explique la flambée des valorisations bien plus que la spéculation. Les infrastructures ne s’improvisent pas. Elles exigent un capital patient, une expertise profonde et un positionnement stratégique que seule une poignée d’entreprises parvient à atteindre.

L’étude PwC précise en outre que les secteurs traditionnellement dominants comme la fintech ou l’e-commerce n’ont enregistré que des progressions modestes. Les décalages sectoriels indiquent que l’IA n’entraîne pas une hausse aveugle et généralisée des valorisations. Elle concentre la valeur dans les segments capables de générer une profondeur technologique réelle et une utilité industrielle avérée. Cette sélectivité, alliée à des cycles d’investissement plus rigoureux, contribue à distinguer nettement la dynamique actuelle de la bulle Internet, où chacun pouvait prétendre à une levée spectaculaire sans actifs différenciateurs.

Un risque de surcapacité matérielle mais aucun signe d’une vacuité technologique

Les chiffres PwC n’indiquent aucun scénario de vacuité comparable à celui observé en 2000. Le seul risque réel concerne une potentielle surcapacité des centres de données dans quelques années, si la demande d’inférence ralentit. Ce risque relève de la planification industrielle classique et non d’une bulle spéculative. Les infrastructures existent, les datacenters s’élèvent, les grappes de processeurs graphiques tournent et les modèles évoluent. Le capital finance des éléments tangibles, coûteux et stratégiques, bien éloignés des vitrines creuses et des pages HTML du Web 1.0. Les investisseurs se positionnent sur la reconstruction de l’empilement technologique mondial, où le calcul, la mémoire contextuelle et les capacités d’entraînement local déterminent l’avantage compétitif.

Cette dynamique s’inscrit dans une recomposition plus large, où les entreprises, les administrations et les fournisseurs de services adoptent des modèles IA intégrés dans leurs outils de productivité, leurs applications collaboratives et leurs environnements métiers. L’accélération de la valorisation des licornes IA reflète cette transition silencieuse. La valeur ne repose ni sur l’illusion ni sur la promesse théorique. Elle découle des usages effectifs, des démonstrateurs opérationnels, de la migration des architectures applicatives et des besoins croissants d’inférence locale ou distribuée. Le débat sur la bulle trouve ainsi ses limites dès lors que les données PwC témoignent d’une transformation concrète et mesurable.

Un nouveau cycle industriel qui déplace la valeur et recompose les marchés

L’étude PwC souligne enfin que les ultra-licornes occupent désormais une position structurante dans plusieurs secteurs stratégiques. Leur progression signale un déplacement plus profond de la chaîne de valeur. L’IA ne fonctionne plus comme un segment isolé. Elle diffuse ses capacités dans les services financiers, la santé, le numérique grand public et les applications professionnelles. Cette transversalité accroît sa valeur économique et stratégique, tout en attirant de nouveaux capitaux. Les investisseurs ne financent pas une bulle mais un socle technique qui redessine les modèles de croissance.

Pour les organisations, l’enjeu consiste à absorber cette mutation et à comprendre comment l’architecture économique de l’IA modifie les dynamiques de marché. Les entreprises capables de structurer leurs usages autour de modèles intégrés, gouvernés et sécurisés bénéficient d’un avantage compétitif. Les investissements dans l’infrastructure IA ne relèvent pas de la spéculation, ils constituent un choix stratégique pour conserver la maîtrise des chaînes de valeur futures. Les chiffres de PwC le montrent clairement. Le débat sur la bulle passe à côté de l’essentiel. L’IA n’est pas un mirage financier. Elle marque le début d’un nouveau cycle industriel, qui combine infrastructures tangibles, technologies avancées et redistribution profonde de la valeur.

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