La stratégie d’Uber est un bulldozer lancé contre des murs… Ou comment la stratégie du géant des VTC soulève-t-elle tant de controverses ?

A la base, Uber n’est pas une si mauvaise idée, née de la désastreuse aventure de son fondateur, Travis Kalanick, avec les taxis parisiens. Faire appel à des VTC (véhicules avec chauffeur) via une application en ligne pour suppléer au déficit des taxis et parfois à certaines attitudes de leurs chauffeurs peut se justifier.

En revanche, certaines pratiques d’Uber sont-elles justifiées ? Uber doit affronter en particulier des attaques qui portent plus sur ses méthodes que sur son service. Dernière en date, Uber aurait utilisé un programme secret nommé « Hell » pour suivre la disponibilité des chauffeurs de son concurrent Lyft et identifier lesquels travaillaient pour les deux sociétés. Notons que, 'dans de nombreuses villes', plus de 60% des conducteurs Lyft auraient cumulé les deux casquettes…

Lyft qui a accusé également Uber d’avoir commandé puis annulé plus de 5.000 courses Lyft pour laisser croire aux chauffeurs que le service concurrent est moins fiable et inviter les passagers à se tourner vers lui !

Mais ce qui est d’abord reproché à Uber, c’est sa stratégie, qui repose sur ses propres règles, avec lesquelles la société joue parfois, parfois également avec les lois, généralement pour éviter de payer des impôts localement. Avec l’aide d’une armée d’avocats et de lobbyistes, cela va de soi.

Voici 10 étapes relevées par The Guardian qui décrivent le modus operandi d’Uber pour coloniser les villes, et perturber leurs économies du transport :

1Le bulldozer

Uber entre dans une ville sans demander d'autorisation aux organismes de réglementation ni clarifier officiellement sa position. Interrogé, Uber fait valoir que les réglementations en vigueur ne sont pas applicables à son modèle business. Travis Kalanick est allé jusqu’à décrire les fonctionnaires municipaux comme des « pousseurs de crayons obstructifs ».

2Des recrutements agressifs

Pour que son service soit efficace, Uber doit rapidement atteindre une masse critique de chauffeurs. Pour attirer ces derniers, Uber offre des primes. Et propose même son propre programme de location de voitures à la semaine… aux conditions jugées exagérées. Uber répond en affirmant que ‘certains’ chauffeurs bénéficient de flexibilité et de remises.

3Des tarifs subventionnés par le capital-risque

Si les tarifs d’Uber semblent moins chers, c’est que la société subventionnerait les tarifs en utilisant un puits sans fond de capital-risque. Le blog économique Naked Capitalism a suggéré que parce qu'il a perdu 2 milliards dollars pour un chiffre d’affaires de 1,4 milliard en 2015, les utilisateurs du service auraient payé un prix qui ne couvre que 41% du coût du trajet.

4Le lobbying local

Uber se construit une base de soutien politique en convertissant des figures de proue locales et en les invitant à participer à sa promotion. Par exemple à Calgary, Uber a recruté un philanthrope comme premier chauffeur, qui offrait des courses gratuites contre le versement d’un don à un organisme de bienfaisance. S’y ajoute le renfort des actions de relations publiques.

5L’achat d’influence

Aux Etats-Unis, Uber a triplé en 2016 son budget de lobbying fédéral, estimé à 1,36 milliard de dollars ! Une somme exorbitante destinée à influencer (ici légalement) la modernisation des lois existantes. Par exemple, pour autoriser les employés fédéraux à utiliser les services d’Uber pour les déplacements officiels. En 2014, un dirigeant d’Uber a suggéré l'embauche de chercheurs pour creuser dans la vie personnelle des journalistes critiques à son égard et d’utiliser les informations pour les discréditer. Quant à Travis Kalanick, il a également soulevé l’opprobre en rejoignant le comité de consultation de l’administration Trump !

6Ignorer les règlements ou les combattre

Une fois qu’Uber est dans un marché, il continue d’entrer en conflit avec les régulateurs et d’ignorer les règlements. Selon le New York Times, la société aurait développé un outil appelé Greyball qui aurait utilisé les données de l'application Uber pour identifier les responsables de la ville de Portland (où le transport de personnes est soumis à un permis) et veiller à ce qu'ils ne puissent pas réserver une voiture pour examiner le service. Uber a répondu qu'il refuse les demandes de covoiturage pour les utilisateurs qui ont violé ses conditions de service.

7Pas de salariés

Une partie des manifestations et des actions en justice contre Uber, aux Etats-Unis comme en Europe, proviennent de la lutte d’Uber contre les conducteurs qui refusent d’être classés entrepreneurs et demandent à bénéficier des droits à l’emploi, comme un salaire minimum, des indemnités de maladie et des congés payés.

8Défier les autorités

« Uber accepte les règlements lorsqu’ils ne portent pas atteinte à la rentabilité de l'entreprise et qu’ils n’interférent pas avec sa ligne stratégique », estime The Guardian. Ainsi en Californie, lors de l’expérimentation sans autorisation de ses véhicules en auto-conduite à San Francisco, leur fâcheuse tendance à franchir des feux rouges a entrainé l’injonction par l’Etat de retirer ses véhicules de la circulation. Uber a imputé la violation de feux de circulation à « l’erreur humaine » et suspendu les personnes en charge des véhicules, mais continué de défier les autorités, jusqu’à finalement se retirer vers un autre Etat. Se heurtant à un mur administratif, et à un déluge de critiques, Uber a fini par acquérir le permis dans le respect de la réglementation… en mars dernier.

9Braver les protestations de la concurrence

Face aux protestations et manifestations de l’industrie des taxis, qui se plaignent de devoir se conformer à la réglementation locale, Uber riposte avec ses avocats. Et va même jusqu’à profiter des manifestations pour les transformer en opportunités marketing.

10Augmenter les tarifs et réduire les commissions

Une fois établie sa domination, Uber augmente ses tarifs et réduit les commissions de ses chauffeurs, sans préavis. Le prix des courses reversé aux conducteurs se retrouve inférieur à celui initialement annoncé lors de son recrutement, ce qui souvent les placent en dessous du salaire minimum.

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